Ce troisième long métrage de Sébastien Marnier, L’ Origine du mal, dévoile un jeu de massacre familial où les monstres se libèrent et répandent leur venin. Un conte de cinéma pour rendre hommage aux femmes, et donc aux actrices.
« La famille, c’est ce qu’il y a de pire au monde. C’est comme un poison qu’on a dans le sang. » confie la petite dernière, Jeanne (Céleste Brunnquell), dans une de ses seules répliques, confirmant ainsi la tonalité de L’Origine du mal. Cette phrase elle la confie à celle qui, pour la toute première fois de sa vie, retrouve une famille. Cette jeune femme, personnage central du récit, travaille dans une usine de sardines et va délaisser sa compagne en prison pour retrouver son père, jusqu’alors inconnu. L’homme, très riche, vit dans une immense villa luxueuse dominant l’île de Porquerolles.
Mais cette figure du père, affaibli par un AVC, s’entoure du charme non-discret de la bourgeoisie : son épouse, Dominique Blanc, en tragédienne exubérante – très Boulevard du Crépuscule – et collectionneuse obsessionnelle ; la fille Georges, Dora Tillier en femme d’affaire sèche ; Jeanne, la petite-fille discrète, observatrice du tableau familial derrière son appareil-photo, et la fidèle bonne à tout faire légèrement angoissante, Agnès.
Stéphane s’inscrit comme l’archétype de l’élément perturbateur, transfuge de classe – comme les personnages de Marina Foïs dans Irréprochables et Laurent Laffitte dans L’Heure de la sortie – dérégler les faux-semblants de l’hyper-bourgeoisie provinciale. Sous influence, évidemment chabrolienne, flirtant, ici, par moment avec les mélos Technicolor hollywoodiens, en trois films, Sébastien Marnier est passé maître dans la gestion du suspens et l’imagerie du film de genre stylisé voire burlesque pour L’Origine du mal. Le mystère et les mensonges s’inscrivent chez les personnages et au creux de chaque image.
À l’épreuve du mâle
Si la bourgeoisie et la famille sont fortement malmenés, cette sensation de la fin d’un monde se situe essentiellement dans la mort du patriarcat, où l’origine du mal se conjugue au masculin. Cette idée du patriarche despote, incarné par la carrure immense de Jacques Weber, seule présence masculine au casting (seul un fils aurait eu le courage de déserter). Autour de lui, la demeure fourmille de symboles masculins et de domination, toutes ces femmes doivent trouver leur place pour abattre leurs cartes.
Ces personnages féminins, monstrueusement humains aux diverses identités, sont enfermés dans des lieux clos : usine, prison, maison, etc. Les possibilités d’évasions sont réduites sur cette île. Symboliquement, Jeanne les capture dans son appareil-photo, là où le cadre les emprisonne, notamment par l’utilisation du split-screen.
D’abord, dans une scène de repas (comme celles chères à Chabrol), où chacun peut révéler sa nature et encercler de manière oppressante Stéphane, le vilain petit canard. Puis, dans une séquence où elle va finalement rentrer dans le cadre rejoindre les autres femmes de la famille métamorphosées en « diaboliques ».
Ces femmes s’associent, dans cet utile enfermement qui est celui de la condition féminine imposée, dont elles ne peuvent s’échapper excepté par une forme de sororité puissante. En cela, l’ouverture superbe du film dans les vestiaires de l’usine, porte en elle le secret du métrage par le regard posé sur ces différentes femmes : la victoire du féminin sur la fin du mâle.