Au creux de l’éclectique programmation du Festival Lumière, se cachait un documentaire au titre énigmatique : The Girl in the Fountain, de l’Italien Antongiulio Panizzi. Œuvre hybride, mettant en perspective les carrières de deux mythes du cinéma : Anita Ekberg et Monica Bellucci.
Énigmatique certes, mais loin d’être confidentiel, puisque ce n’est autre que Monica Bellucci elle-même qui s’est chargée de présenter le métrage au public lyonnais. Rien d’étonnant cependant, étant donné que The Girl in the Fountain prend vie pour et par sa figure.
Souhaitant en effet raconter le destin de la star de La Dolce Vita (Federico Fellini, 1960) Anita Ekberg, Antongiulio Panizzi opte pour un procédé original : demander à Monica Bellucci d’incarner la vedette suédoise et la filmer en pleine préparation dudit rôle. The Girl in the Fountain adopte donc une structure assez simple, alternant images d’archives (de films, de presse ou d’interviews) sur la vie d’Anita Ekberg, et scènes – reconstituées – de Monica Bellucci au travail.
Miroir, miroir
Au cours d’une table ronde[1] organisée pendant le Festival Lumière, Monica Bellucci a présenté ainsi l’ambition du film : « Anita avait un grand désir de liberté. Liberté qu’elle a payé très cher. C’était une époque où l’on ne pouvait pas être libre comme ça. The Girl in the Fountain est important car il compare deux époques, deux star-systèmes. Celui de l’Italie d’après-guerre et celui d’aujourd’hui. »
Pour elle, « le problème de l’époque [était] que l’image et la personne étaient la même chose. Anita Ekberg était Anita Ekberg tout le temps. Il n’y avait pas de distance. C’est le gros risque, quand l’image et la personne sont la même chose. Elle est aussi arrivée à un moment où la carrière des femmes était liée à un état biologique. Ce film est important aussi car il raconte un moment certes magnifique du cinéma, mais où il y avait des lois très dures pour les femmes. »
À travers les doutes et les réflexions de Monica Bellucci, se creuse un écart évident entre les deux star-systèmes. Pour illustrer ce phénomène, l’écriture d’Antongiulio Panizzi ne fait pas dans la finesse – l’actrice reconnait d’ailleurs volontiers que le film a été tourné « à l’arrache ». Mais la reconstitution, même grossière, de saynètes de la vie quotidienne de la star italienne a le mérite de mettre au jour le critère premier de distinction entre ces deux époques : la perte de la foi des acteur.ices en leur image starifiée.
Mission impossible
À ce titre, une scène fait figure de clé de lecture. À mi-métrage, Antongiulio Panizzi revient sur le geste de la carrière d’Anita Ekberg : sa sortie d’avion lors de son arrivée en Italie dans la Dolce Vita.
À la séquence visible ci-dessus, succède le travail de Monica Bellucci, avec sa coach, pour reproduire ce geste de dévoilement. Et malgré sa décomposition, malgré les répétitions, l’actrice bute. Le film ne dira pas si elle réussit finalement à l’exécuter parfaitement. Et nous sommes en droit d’en douter. La précision du geste, couplée à la foi d’Anita Ekberg, le rendent impossible à dupliquer.
Pour Monica Bellucci, ce geste « lui appartient. C’est difficile de le reproduire. Ce qui est beau c’est que quand elle faisait ce geste, elle y croyait. C’est aussi une manière de se présenter : “Je suis une star, et je l’assume”. Aujourd’hui on rit un peu quand on fait la star. Parce qu’on n’y croit plus avec les réseaux sociaux. Mais à l’époque, quand on voyait ces stars au cinéma, c’étaient des images si loin de la réalité. »
L’air de rien, cette séquence contribue à la complexification de la figure d’une actrice que beaucoup n’ont jamais considéré comme telle. Car le geste d’Anita Ekberg résiste. Et dans l’échec – relatif – de Monica Bellucci s’ouvre une autre grille de lecture que celle imposée par les tabloïds de l’époque. Anita Ekberg était une véritable actrice qui, en prime, a su composer et créer de vrais moments de cinéma.
Retourner le stigmate
Lors de cette même table ronde, Monica Bellucci s’inscrit contre une phrase énoncée dans The Girl in the Fountain arguant qu’« Anita Ekberg n’était peut-être pas une grande actrice, mais [qu’]elle était elle-même. ». Pour la star italienne, « ce n’est pas vrai. Car même pour se jouer soi-même il faut être une bonne actrice. »
Ce petit geste n’a donc l’air de rien, tout juste bon à provoquer le rire moqueur du spectateur d’aujourd’hui. Mais il vaut beaucoup. Car en croyant si fort à son personnage, Anita Ekberg est parvenue à dessiner un espace n’appartenant qu’à elle. Et c’est un tour de force remarquable dans une industrie prête à broyer toute velléité de spontanéité et de sincérité.
Il est inutile de nier que la frontière entre vie privée et vie professionnelle était, de fait et de droit, abolie dans le star-système hollywoodien des années 1950. Anita Ekberg en a souffert, comme tant d’autres. Et ces échecs ont permis aux actrices d’aujourd’hui de se protéger. The Girl in the Fountain le montre très bien. Mais il s’agit de rendre à Anita Ekberg ce qui lui appartient en propre : un désir de jeu brûlant, ayant certes consumé sa figure, mais qui a pleinement contribué à la création d’images qui nous accompagnent encore aujourd’hui.
[1] Table ronde autour de laquelle étaient présents 4 médias : Jean-Marc Aubert pour Les Chroniques de Cliffhanger & Co, Anaïs Calon pour Maze.fr, Philippe Hugot pour Baz’art et Nastassia Trushkin pour S-quive.