CINÉMA

FESTIVAL LUMIÈRE 2022 – « Kisapmata » : L’Enfer sur Père

© DR

Avec la section «  Trésors et curiosités  », le Festival Lumière œuvre à la mise en avant de cinématographies aux parcours tortueux. Le film du Philippin Mike de Leon, Kisapmata (1981), fait partie de ces oubliés de l’histoire. Et pour cause, il a été censuré par le régime dictatorial philippin de Ferdinand Marcos en raison des sujets abordés  : la répression du régime et l’inceste.

Mila (Charo Santos-Concio) et Joel (Jay Ilagan) souhaitent se marier. Le jeune couple attend un enfant et souhaite pouvoir mener à bien ses propres projets. Le père de Mila, Dadong Carantang (Vic Silayan) accepte de laisser sa fille unique au jeune homme, sous conditions. Joel et sa famille doivent payer une dot trop coûteuse et organiser un mariage luxueux.

Amoureux, les deux jeunes gens s’organisent et empruntent de l’argent à la banque. Les jours passent et, malgré les réticences du père de Mila, le mariage a bien lieu. Vécurent-ils heureux pour autant  ?

Un huis-clos à ciel ouvert

Kisapmata chemine sur le versant opposé du conte de fée. Adapté d’un fait réel ayant eu lieu en 1961, Kisapmata est en réalité un film d’horreur. Ancien flic à la retraite, Dadong est un père despote, maintenant tout son entourage – sa femme, sa fille mais aussi sa domestique – dans la peur. Il est hors de question pour lui que sa fille prenne la moindre décision – encore moins celle qui l’amènera à quitter le foyer pour un autre homme.

L’horreur infuse alors peu à peu. Et la révolte initiale de la spectateur.ice, provoquée par les saillies autoritaires du père, perd lentement de sa virulence. Elle est anesthésiée par les vapeurs sordides qu’exhalent regards et dialogues étouffés des femmes de la maison. Pour ce faire, Mike de Leon peut compter sur l’interprétation toute en nuances – tantôt brusques, tantôt progressives – de Vic Salayan. Celui-ci transforme le personnage de Dadong en un souverain absolu et terrifiant. Surtout, le réalisateur déploie une mise en scène dont l’efficacité implacable n’est pas sans rappeler les meilleures productions d’Hitchcock.

Et si la maison familiale n’a pas de barreaux aux fenêtres, violence et secrets créent une séparation immatérielle avec le monde extérieur. En fait, Kisapmata est un huis-clos à ciel ouvert. Dedans et dehors sont les deux mêmes faces d’un monde hanté par les démons d’une société patriarcale répressive. Et si les enfants tentent de fuir, c’est pour mieux être rappelé.es au cœur du Mal, par les manœuvres du père.

Vic Salayan dans Kisapmata
Vic Salayan interprète Dadong, le père de Mila © DR

Une œuvre politique

Mike de Leon maîtrise à la perfection la dimension allégorique de son récit. La profession passée de Dadong n’est, en ce sens, pas anodine. L’ancien policier personnifie à lui seul le régime dictatorial de Ferdinand Marcos. Kisapmata fut d’ailleurs censuré par ledit régime lors de sa sortie. Car cette critique politique à peine voilée dialogue souterrainement avec un autre thème tabou  : celui de l’inceste.

Deux passages au noir et blanc s’impriment alors comme autant de visions cauchemardesques de Mila. Elles rendent raison de la paralysie frustrante de la jeune femme et de sa mère. Et c’est seulement par l’intrusion de l’imaginaire que Mike de Leon parvient à rendre sa mémoire à Mila – et sa vue à la spectateur.ice.

Pour Mike de Leon, la culpabilité – liée à la culture catholique philippine – ronge tout, et empêche chacun.e. C’est, entre autres, cette architecture religieuse et morale qui structure la société philippine d’alors et contribue à perpétuer les rapports de domination. Sans issue.

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