Avec sa mise en scène fluide et son final audacieux, Catarina et la beauté de tuer des fascistes prend le public à partie, pour mieux pointer du doigt notre passivité face au fascisme.
Portugal, à une époque pas si lointaine. Une famille se réunit autour d’un banquet. La mère, ses filles, le grand-père. Tous portent des habits traditionnels – gageons de ne pas prêter attention aux Birkenstock de l’un des personnages -, pantalons amples et débardeurs. Aujourd’hui est un jour spécial. Le fascisme progresse dans le pays, et certains d’entre eux ont été élus au parlement.
Un danger pour la démocratie, que ce clan, marqué à gauche, combat depuis des décennies. Pour ce faire, l’un des membres de la famille élimine de sang-froid un fasciste chaque année. Comme un rite de passage, une sorte de coutume à laquelle on s’adonne depuis toujours, sans la questionner.
Cette fois-ci, c’est la jeune Catarina qui doit s’y coller. Son premier meurtre. L’occasion de revendiquer pleinement son appartenance au groupe familial. La jeune femme se croit prête. C’est lorsqu’elle pointe son revolver en direction du député fasciste, kidnappé par sa famille pour l’occasion, qu’elle renonce. « Je vois un homme sans défense », dit-elle. À quel point la fin peut-elle justifier les moyens ?
Dilemmes en pagaille
Tiago Rodrigues, qui a choisi de mettre en scène des comédiens portugais, ménage son spectateur avec une mise en scène simple, presque simpliste. Unité de temps, de lieu, le spectateur reste ancré dans le salon de cette famille portugaise et tueuse de fascistes.
Cette simplicité scénaristique lui permet de mettre l’accent sur les dialogues – surtitrés à l’écran -, et d’orienter le spectateur directement vers le véritable objet du spectacle. Rodrigues ne célèbre pas le théâtre, il interroge ses personnages – et bientôt le spectateur – sur ses visions de l’éthique et de la politique.
Les dialogues, drôles, et très compréhensibles, posent un certain nombre de dilemmes moraux qui frappent les personnages. L’une des personnages est végane. On se moque d’elle au début du spectacle, on confond son véganisme avec du végétarisme.
Plus tard, un homme de la famille vient la voir. « Je sens le goût de la culpabilité lorsque je mange de la viande », avoue-t-il. Entre son plaisir et la certitude de ne pas faire ce qu’il faudrait (ici, épargner les animaux), il a du mal à choisir.
Le dispositif se répète lorsque Catarina refuse de tuer un homme, même si ce dernier est fasciste, donc dangereux. Même si les fascistes sont nombreux à accéder au pouvoir et font peser un risque sur la démocratie. Toute ressemblance avec la situation politique actuelle en Europe est fortuite.
Les fascistes ont beau inciter les hommes à commettre de nombreux féminicides, peut-on se permettre de les tuer ? Protège-t-on la démocratie lorsque l’on assassine ses propres opposants politiques ? Est-on encore démocrate si l’on emploie les mêmes moyens que la dictature ? Les dilemmes moraux, peu subtils, sont égrainés, nombreux, au fil des dialogues, jusqu’à arriver à leur point d’orgue. Les personnages tranchent, ou plutôt ne tranchent pas.
Le final, que l’on ne peut pas raconter pour ne pas gâcher le spectacle, impose au spectateur de choisir. Un immense moment de théâtre, qui fait entrer en collision divers sentiments contradictoires. Comme si Rodrigues tendait à son public un miroir. Comme si après la théorie, venait le temps de la pratique. À voir absolument.
Catarina et la beauté de tuer des fascistes de Tiago Rodrigues, au théâtre des Bouffes du Nord, du 7 au 30 octobre 2022. De 11 à 34 euros.