LITTÉRATURE

« Stardust » – Un foyer nommé Crimée

© Grasset
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Avec Stardust, Léonora Miano exhume de l’oubli son premier texte écrit il y a une vingtaine d’années. Elle y raconte sa vie dans un foyer d’accueil lorsqu’elle était « une jeune mère de vingt-trois ans, sans domicile ni titre de séjour ».

Comme Annie Ernaux et son Jeune homme il y a quelques mois, le nouveau livre de Léonora Miano est un ancien texte. Mais contrairement à Annie Ernaux, il ne s’agit pas d’écrire à propos d’une ancienne relation, mais à propos d’une ancienne situation de survie quotidienne. Il y a maintenant une vingtaine d’années que Léonora Miano composait Stardust, une autofiction sur son séjour dans le foyer de Crimée. Si elle le publie aujourd’hui, c’est parce que du haut de son statut d’autrice remarquée et récompensée, elle « n’a rien à prouver » et plus peur d’être vue comme «  la SDF qui écrit des livres ». L’autrice de La Saison de l’ombre (Prix Fémina en 2013) donne donc à lire pour la première fois une histoire personnelle qu’elle qualifie cependant de «  roman » suivant une « composition ». Elle présente de l’intérieur la vie en centre d’hébergement.

Personne ne connaît ces endroits. Parfois, lorsque viennent les grands froids, on parle, au journal du soir, de ces foyers d’accueil pour les sans-abri. Nul ne sait vraiment à quoi ils ressemblent. Comment on vit là.

Léonora Miano, Stardust

« Tu es de la poussière d’étoile », c’est ce que répétait la grand-mère de la narratrice à sa petite fille enfant. D’origine camerounaise, Louise vit en France. Elle a une licence de littérature en poche et des milliers de vers dans la tête. Les siens et ceux de Margaret Walker, Edouard Glissant, Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas, Maya Angelou, Léopold Sédar Senghor… La liste est longue mais il semble qu’il faille énoncer tous les noms. Un jour elle tombe enceinte. La mère de son copain, mécontente de leur relation, cesse de payer le loyer de leur piaule partagée. C’est alors le début de la descente aux Enfers. Sans logement, impossible de continuer les études. Et sans statut étudiant, impossible de garder le droit de résider en France. Louise prend donc son destin et sa fille en main et rejoint le foyer Crimée. Elle souhaite en finir avec « cette longue incarcération dans le vouloir des autres ». Les vies abîmées qu’elle y rencontre vont la marquer durablement.

Je est une autre

Avec Stardust, Léonora Miano alterne entre les pronoms « je » et « elle » pour désigner Louise. La narratrice dit « je » lorsqu’elle s’adresse à sa grand-mère dans une correspondance imaginaire. Une intimité est ainsi établie dans ces passages où tendresse et colère pointent directement. Le reste du temps, le personnage de Louise est mis à distance grâce au pronom « elle ». Car, comme l’écrit justement l’autrice dans son avant-propos : « La troisième personne du singulier éloigne les périls d’une traversée de sa propre infortune ».

Pour retranscrire cette « traversée », Léonora Miano fait usage d’une langue concise et d’un phrasé syncopé à la façon d’un morceau de jazz. C’est qu’en plus des vers des poéte·sses, la narratrice se souvient des disques de jazz qu’écoutait son père. Car « la musique également siège dans la mémoire. Blues. Jazz. Gospel. Soul. New jack. Acid Jazz. » Les phrases sont donc souvent courtes et s’arrêtent à des endroits inattendus : « Quoi que Crimée fasse d’elle, si Louise ne meurt pas, elle vivra pour tout dire. En face. Elle hait cet instant. Ne l’oubliera jamais. » Comme pour mieux souligner la rage et le caractère impromptu des situations qu’elle vit.

C’est une facette très difficile de sa vie que Léonora Miano livre avec Stardust. Consciente de la chance qu’elle a eu de s’en sortir, elle prête sa plume pour toutes les autres que l’on entend pas. Mais au-delà du simple témoignage, ce roman fait office de véritable art poétique, en tant que « premier roman » composé. L’autrice dit avoir amendé inlassablement le texte de départ à l’exception du propos et du phrasé. Il semble donc que Stardust lui a permis au fil des années de trouver et de réfléchir (à l’époque comme aujourd’hui) à son style. Elle y livre en tout cas une des clés des raisons qui la poussent à écrire.

C’est en écrivant qu’elle trouve un espace habitable. En concevant un univers et en le faisant advenir sur la page. Le chant est sa parole véritable. L’écriture sa planche de salut.

Léonora Miano, Stardust

Stardust, Léonora Miano, éditions Grasset, 220 p., 18€50

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