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« Plan 75 » – Vieillesse ennemie

Plan 75 Copyright Eurozoom
Plan 75 Copyright Eurozoom

Dans un futur proche, le Parlement japonais fait adopter une loi permettant à toute personne de plus de 75 ans de se faire euthanasier moyennant paiement. Réalisé par Chie Hayakawa, Plan 75 a reçu le prix de la Caméra d’or à Cannes en 2022.

C’est un scénario tristement plausible que propose Chie Hayakawa dans Plan 75. Face au vieillissement de sa population, le gouvernement du Japon met en place l’inimaginable : convaincre ses aînés de mourir pour cesser d’être un poids économique. Ce premier film a d’abord vu le jour sous forme d’un court métrage présenté dans le cadre du projet Ten Years Japan. Il s’agissait d’inventer une histoire à partir du thème précis des problèmes sociaux du Japon du futur.

Alors qu’elle réfléchissait déjà à son scénario dystopique, Chie Hayakawa s’est dit que celui-ci correspondait parfaitement à la thématique. Dans un pays qui compte le plus de senior au monde l’angoisse démographique est un enjeu central. En 2050, les plus de 65 ans devraient représenter près de 40 % de la population contre 28 % en 2018 selon la Direction Générale du Trésor.

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Raccourci pour le projet, le scénario de Plan 75 s’est de nouveau étoffé pour donner ce film de presque deux heures. À l’écran, ce sont deux générations qui se font face. Du côté des aînés, on trouve Chieko Baisho qui a prêté sa voix à de nombreux personnages d’anime (Le Château ambulantLes Enfants du temps) et Taka Takao, habitué des rôles théâtraux. Pour la nouvelle génération, la réalisatrice a fait confiance à de nouvelles figures telles que Yuumi Kawai, Hayato Isomura ou Stefanie Arianne. Alors qu’elles semblent avoir perdu tout lien, ces deux générations vont peu à peu se rapprocher.

Défaut d’empathie

Tout commence par un massacre. La caméra, pudique, reste fixée sur un point flou, mais le contexte est parfaitement compréhensible. L’homme derrière l’arme explique ses terribles raisons : pour soulager l’économie et pour le bien de la société, les personnes âgées devraient être tuées ou se tuer. Il s’agit là d’une référence au massacre de Sagamihara arrivé à l’été 2016. Un ancien employé d’un centre pour personnes handicapées avait assassiné 19 résident·es et blessé 25 personnes. Même lors de son procès, le meurtrier a maintenu son point de vue eugéniste. Ce fait divers a particulièrement marqué la réalisatrice.

Je voulais faire un film pour dénoncer cette société [dominée par l’intolérance et le rationalisme]. Le massacre de Sagamihara a été l’un des principaux déclencheurs dans ma décision de mettre en scène cette histoire.

Chie Hayakawa

Dans la fiction, parallèlement au massacre, les autorités annoncent la mise en place du Plan 75. Présenté de façon guillerette dans les spots publicitaires, le projet séduit et se développe. Mais il est vite clair que cette entreprise n’est rien de plus qu’une start-up gourmande. Le nom écrit en alphabet latin annonce ironiquement la couleur de ce projet jeune et moderne. Les employé·es (jeunes) semblent perdre de vue la finalité mortifère de leur métier derrière leurs masques souriants. Et les nombreuses personnes âgées qui vivent sous le seuil de pauvreté se laissent convaincre par la promesse d’un court bonheur et par la certitude de se rendre une dernière fois utiles.

Retraite agitée

Bien que se situant dans un futur hypothétique, le Japon de Plan 75 ressemble beaucoup au Japon contemporain. L’insuffisance du système des retraites force de nombreuses personnes âgées à travailler. Pour survivre, Michi (Chieko Baisho) et ses amies sont femmes de chambre dans un hôtel. Toutes ont dépassé les 70 ans. Même si elles se plaignent de douleurs liées au travail, les femmes sont amies et forment un groupe soudé.

Peu à peu le Plan 75 s’immisce dans leurs conversations et séduit. Mais elles tiennent à leur petit cercle et à leur karaoké du week-end. Jusqu’au jour où la meilleure amie de Michi s’écroule au travail. Licenciées sans cérémonie, elles se perdent peu à peu de vue. Isolée, sans famille, Michi doit continuer de travailler pour payer son loyer et se reloger. Son immeuble va être démoli. Mais comment trouver un nouveau logement lorsqu’on ne propose que des emplois précaires ?

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À l’écran, Chieko Baisho impressionne le plus. Elle incarne avec beaucoup de profondeur son personnage. À la voir, on ne peut s’empêcher de se demander à quand remonte le dernier film que l’on a vu dans lequel le personnage principal féminin avait cet âge. Autour et avec elle, des duos de génération se forment : Michi et Yoko (Yuumi Kawai) la jeune standardiste ainsi que Hiromi (Hayato Isomura) et son oncle Yukio (Taka Takao).

Grâce à ces liens oubliés ou inattendus, les personnages vont renouer avec leur empathie perdue. La réalisatrice Chie Hayakawa met également en avant d’autres problématiques sociales liées au Japon contemporain. Elle montre ainsi que les Philippines est l’un des premiers pays à fournir des aide-soignant·es (souvent en situation irrégulière) pour palier la pénurie de main d’œuvre.

Plan 75 réussit la lourde tâche d’aborder un sujet sensible et central dans la société japonaise. C’est en effet avec une grande délicatesse et une grande pudeur que Chie Hayakawa aborde la question de la vieillesse et de la solitude. Elle mérite ainsi amplement son prix de la Caméra d’or pour ce premier long-métrage.

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