CINÉMA

« Les Petites Marguerites » – Marie 1 et Marie 2 vont en bateau

Les Petites Marguerites
© Malavida

Ressorti par Malavida, l’insolent Les Petites Marguerites, de la cinéaste Věra Chytilová, sorti en 1966, est à voir en salles depuis le 31 août. Film symbole de la Nouvelle vague tchèque, sa modernité témoigne d’un féminisme libéré où les héroïnes envoient valser patriarcat et société.

Huit ans avant les Céline et Julie de Rivette, cousines éloignées – et plus âgées – de la Zazie de Louis Malle, comme elles, Marie 1 (Ivana Karbanova) et Marie 2 (Jitka Cerhova) – dont les prénoms ne sont jamais donnés dans le métrage – sont bien décidées à s’amuser d’un hédonisme total, autant que Věra Chytilová dans sa mise en scène. La rousse et la brune en maillots de bain vichy avachies au bord de l’eau, face à la caméra, donnent immédiatement le ton du film. Puisque le monde est dépravé : « Nous serons dépravées nous aussi », déclarent-elles. Aussitôt dit, aussitôt fait.

Deux ans avant le Printemps de Prague, tandis que les deux comparses font fi des conventions de leur sexe et de leur place assignée dans la société, la cinéaste de la Nouvelle vague tchèque se joue des grammaires cinématographiques au rythme de leurs divagations.

Sous l’influence de Godard, Les Petites Marguerites, est en constante mutation formelle : désynchronisation, effets sonores, faux-raccords, jeux de colorimétrie oscillant avec le noir et blanc ou le sépia, montage expérimental et autres décalages psychédéliques. À la fois comédie burlesque rendant hommage aux balbutiements du cinéma et évidemment satire sociale en fond, le film ne se perd jamais dans la psychologie. Il se contente d’un ludisme affirmé pour captiver les spectateur.rices et les solliciter dans le mouvement narratif.

Ode à l’anticonformisme

C’est dans cet univers que les deux Marie évoluent avec leurs moues boudeuses et leurs corps quasi articulés, dans un mouvement donnant au film son énergie. Qu’elles détournent des vieux bourgeois au restaurant, saccagent des lieux publics ou un banquet, découpent ce qui leur tombent dans les mains et se la jouent Grande Bouffe avant l’heure, elles s’affirment reines du nihilisme, du désordre et de la (auto)destruction dans un souffle de liberté.

De ces expérimentations narratives nait une poésie surréaliste punk rendant hommage à la vie subversive. Manifeste d’une jeunesse qui ne veut pas s’ennuyer, le film de cette pionnière du cinéma tchèque est un scandale à sa sortie et sera censuré en Tchécoslovaquie

Cinquante-six ans plus tard, Les Petites Marguerites, à l’image de sa réalisatrice, Věra Chytilová, se fait le porte-parole d’une génération, et pourtant le film n’a pris aucune rides, et se dévoile aujourd’hui, toujours aussi moderne, audacieux, unique et manifestement féministe. À voir et revoir !

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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