Théâtre

« Lazzi » – Dernier inventaire avant liquidation

Lazzi
© Christophe Raynaud de Lage

Comédie grinçante sur le monde finissant de deux hommes qui prennent conscience de leur propre obsolescence, Lazzi parvient à émouvoir et faire rire d’une séquence à l’autre. Quelques longueurs d’écriture abîment parfois cet écrin de mélancolie.

Après vingt-sept années de bons et loyaux services, deux hommes se tiennent dans le vidéoclub qui les a occupés toutes ces années. Décor en ruine, quelques rangées de sièges métalliques noircis par les années. C’est la fin, on liquide tout. De toute une vie consacrée à la célébration du cinéma, il ne reste que quelques films, aimés avec acharnement. Il y a du Godard, du Carax, du Visconti, quelques films de zombies, bref, le cinéma qui a marqué une autre époque, celle de deux hommes rendus obsolètes par le progrès, par Netflix et les autres plateformes, par le streaming et les séries. « Tu es triste  », glisse l’un. « J’ai quand même l’air drôle à côté de toi. Tu es sinistre, Philippe », rétorque l’autre.

Tous obsolètes

Le texte de Fabrice Melquiot, pensé comme une comédie, fonctionne à merveille avec les deux acteurs – dont le nom des personnages est leur vrai nom -, amis sur scène et à la ville. Des années d’amitié, un destin commun et la même mélancolie que les deux hommes confrontent avec humour. « Si tu étais un réalisateur, tu serais Garrel  », insulte l’un. La première partie, dans le vidéoclub, particulièrement bien écrite, dresse le portrait d’un monde finissant. De la même manière que les rues de Mean Streets ont été remplacées par de nouveaux commerces, plus modernes, plus globalisés, le monde du vidéoclub se termine. L’humour désabusé du duo fonctionne, et raconte un aspect de la vieillesse souvent oublié dans la fiction : cette impression tenace d’être en-dehors du monde. Aussi obsolète qu’un vidéoclub.

© Christophe Raynaud de Lage

La deuxième séquence s’égare un peu. Les deux hommes tentent de refaire leur vie, s’en vont acheter une maison de campagne pour s’y installer, reclus. On y croise le fantôme d’Orson Welles, on y plante des semis (sans grand succès), la comédie se fait de facture plus classique. Si certaines saillies fonctionnent à merveille (« Tes enfants te manquent, toi ? – Bien sûr que non »), certains monologues alourdissent l’ensemble et perdent parfois le spectateur. La force de Lazzi, c’est sa belle histoire d’amitié et son regard mélancolique sur les temps modernes. Parce que demain, nous serons tous devenus obsolètes. Comme Vincent et Philippe. Comme le vidéoclub.

Lazzi de Fabrice Melquiot, avec Vincent Garanger et Philippe Torreton au Théâtre des Bouffes du Nord, du 6 au 24 septembre 2022. Entre 11 et 34 euros.

Journaliste

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