LITTÉRATURE

« Ils vont tuer vos fils » – Le cerveau en toupie

Dans Ils vont tuer vos fils, premier roman qui se lit d’une traite, Guillaume Perilhou dissèque les aspects pas toujours reluisants de l’expérience de son personnage principal  : paumé et blessé mais vivant avant tout. 

«  Je porte pour toujours la solitude de ceux qui ont vécu avant moi dans l’ombre et la révolte tue  ». Le personnage principal, devant le juge, raconte et explique les attouchements qu’il a subis enfant de la part de son père. L’histoire s’ouvre ainsi, in medias res. L’auteur, au moyen de son écriture, nous attrape par le col sans nous lâcher jusqu’à la toute fin de l’histoire. Aucune précaution n’est prise pour présenter la situation et préserver celui ou celle qui lit. Nous voici dans le vif du sujet. Nous ne serons pas épargnés. Pourtant, le livre n’est jamais violent. Il est juste, il choisit ses mots et donne à voir et à entendre. 

Une course d’obstacles

La vie ne fait pas toujours de cadeau. Les phrases de l’auteur nous cueillent avec précision pour nous dire ce qui a été et que l’on ne peut soigner. Il y raconte les abus de son père, les maladresses de sa mère, son placement en foyer : “On pensa que j’avais été élevé dans la haine de mon père. L’aide sociale à l’enfance demanda le retrait de l’autorité parentale de ma mère, estimant qu’il était préférable que j’arrête de me rendre chez elle le week-end”.  Il décrit aussi le plaisir qu’il a à se travestir et à porter son nom de scène : Raffaella. 

L’auteur raconte aussi la découverte de l’homosexualité de son personnage, son premier mec François : « Une fois arrivé, j’ai embrassé François trop fort trop longtemps, il m’a murmuré un truc comme doucement on a le temps, et puis on s’est galochés sans s’arrêter plusieurs jours. Il me branlait en musique ou dans l’escalier, il était beau et dégoutant ». Cependant, cette relation ne pouvait pas durer : « Il m’aimait plus que je ne m’aimais moi  ». Puis, de ses autres rencontres dans la vie ou sur les applis :

Photo de profil en noir et blanc (…) BG, je lui avais écrit un truc pro, Merci de vos likes. Il avait répondu direct Merci à toi j’aime beaucoup tes vidéos. Personne n’était dupe, on savait ce qu’on voulait, c’était le game, la drague 2.0 épistolaire sans papier ni crayon ni pigeon mais toujours via les airs.

Étiqueté : inadapté

Puis, une bouffée délirante vient rompre le défilé cinématographique de ce quotidien. Direction l’HP. Rares sont les auteurs qui tracent les logiques de ces lieux d’enfermement comme il le fait. Il y a les échanges de cigarettes, les repas dégueulasses au réfectoire, la prise de médicaments, les électrochocs, les tentatives d’évasion et même l’amour qui peut parfois s’y loger. Soudain, la possibilité d’une rencontre dans cet HP débilitant et assommant. Il s’appelle Clément, un brun, légèrement bouclé qui le fait craquer par l’aspect de sa nuque qu’il perçoit lors d’un énième repas à la cantine. Ils fuguent ensemble de l’enceinte fermée de l’hôpital, se sucent, se parlent, clopent ensemble.

Le titre, tiré de la chanson Kill your sons de Lou Reed, fait écho aux expériences homosexuelles du chanteur. Ses parents avaient décidé de l’envoyer dans un centre médicalisé pour qu’il y reçoive une série d’électrochocs. Cette technique, prétendue guérir une pathologie, n’est qu’une violence immense faîte à ce jeune homme et à son désir. Guillaume Perilhou parle de l’abêtissement provoqué par les traitements médicamenteux qui empêchent toute activité intellectuelle. Même lire n’est plus possible. Lou Reed chante : «  Every time you tried to read a book / You couldn’t get to page 17 / ‘Cause you forgot, where you were / So you couldn’t even read  ».

Ils vont tuer vos fils  fait le récit d’une vie traversée par le traumatisme, le désir, la peur, l’envie et la colère. Un livre qui ne nous met pas à l’abri du délire. Alors délirons  ! En conscience  ? ! 

Ils vont tuer vos fils de Guillaume Perilhou, Edition de L’Observatoire, 17euros.

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