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Referendum en Tunisie, la dérive autoritaire

© Habib M’henni
© Habib M’henni

La Tunisie vient d’approuver par referendum une réforme constitutionnelle voulue par le président lui-même. Dans le pays qui, premier dans tout l’Afrique du Nord, a vécu le Printemps arabe, le résultat de ce scrutin consacre une dérive plus autoritaire.

Le 25 juillet dernier, le projet de nouvelle constitution proposé par le président lui-même, Kaïs Saïed, a été approuvé par referendum avec 94,6 % des voix. Selon l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), le taux de participation a été faible, environ 30 %, conforme à celui des dernières élections.

La population tunisienne est en effet désabusée par la classe politique des dix dernières années, considérée comme corrompue et n’ayant pas portée les valeurs de la révolution. Même à l’étranger le taux de participation à été faible : seulement 6 % des expatriés se sont déplacés aux urnes.

Les élections ont également été boycottées par les opposants politiques du président, et en premier lieu le parti Ennahdha, parti islamiste conservateur au pouvoir durant les années suivant la révolution du 2011. En fait, le parti a appelé au non-vote en signe de protestation : l’opposition a pratiquement déserté les urnes.

Avec un tel taux d’abstention, les partis d’opposition, notamment Ennahda mais aussi les Frères musulmans pourraient être considérés comme les véritables gagnants du référendum. Cependant le faible taux de participation n’a pas empêché la victoire du « oui ». En effet, le référendum n’avait pas de quorum, ce qui a rendu la victoire du « non » presque impossible.

Un régime présidentiel

Un désaveu du président en exercice, mais surtout une désapprobation du texte proposé. La nouvelle constitution augmente considérablement les pouvoirs du président et réduit le rôle du parlement, transformant la Tunisie d’un régime semi-présidentiel en un régime présidentiel.

Ce, alors que le Parlement a déjà perdu de son importance. En juillet 2021 déjà, le président Saïed avait suspendu le parlement, et l’a dissout en mars dernier. L’approbation de ce texte consacre la dérive du pays vers un pouvoir de plus en plus autoritaire. Le texte lui-même semble entaché d’irrégularités.

Selon la RAI, l’audiovisuel public italien, Saïed a en effet créé par décret présidentiel une instance composée de six membres qui avaient pour mission de rédiger un nouveau texte constitutionnel. Le texte a été publié le 30 juin au Journal officiel, mais n’a pas été reconnu par les experts qui l’ont créé, comme indique le journal local Al-Sabah. Le président Saïed est soupçonné d’avoir préparé le brouillon de la nouvelle constitution depuis des années.

Révolution laïque

Le referendum du 25 juillet substitue donc la Constitution en vigueur depuis 2014. Celle-ci, née dans le sillage du Printemps arabe en 2011 et le renversement du dictateur Ben Ali, était le produit d’un âpre compromis entre Ennahdha et ses rivaux laïques. La religion semble être l’un des points de bascule de la nouvelle loi suprême du pays. Saïed opère une grande révolution laïque en supprimant la référence à l’Islam comme religion d’État.

Afin de lutter contre les partis d’inspiration islamiste, et en premier lieu Ennahda, le président a tenu à souligner que seuls les individus pouvaient être musulmans, et non une nation. Par cette réforme, Saïed intègre pourtant le lien entre l’Islam et la communauté nationale. En effet, il inscrit ainsi la Tunisie dans le cadre de l’Oumma, la communauté qui regroupe tous les musulmans au monde, indépendamment de leur nationalité ou ethnie.

Saïed n’est pas un laïc, mais un musulman conservateur, opposé à l’islam politique des Frères musulmans, auquel il préfère l’islam culturel dont sa Constitution est imprégnée

Pierre Hasky, IlSole24ore

Logiquement, le nouveau texte augmente les pouvoirs du président qui ne peut désormais être rejeté. Il peut également décider de prolonger son mandat en cas de « péril imminent », notion qui n’est évidemment pas précisée. Autre nouveauté, l’élection des députés au suffrage universel n’est pas spécifiée. Ainsi, le nouveau texte menace de démanteler au moins une partie des acquis démocratique gagné après 2011, à la suite du printemps arabe. Après avoir instauré l’état d’urgence, le président gouverne par décret depuis désormais un an. Si le referendum n’a pas institué le gouvernement d’un seul homme, il a jeté les bases d’une dérive autoritaire.

Les hommes du président

Dans la soirée du 25 juillet, des millions de personnes sont descendues sur l’avenue Habib Bourguiba, l’axe principal de Tunis, pour célébrer la victoire de la réforme constitutionnelle dans les urnes. Le président bénéficie toujours d’un grand soutien de la population, qui a approuvé la nouvelle constitution comme démonstration de support au président.

Depuis un an, Saïed apparaît comme la seule solution à la corruption, un des plus grands problèmes en Tunisie. En effet, plusieurs députés du parti d’Ennahada sont recherchés et font l’objet d’une enquête pour blanchiment d’argent et collusion avec des organisations terroristes. Cependant, durant l’année écoulée, Saïed n’a pas réellement agi contre cette corruption et s’est plutôt focalisé sur la réforme de la constitution, en présentant la constitution elle-même comme la cause d’un parlement corrompu, selon Leila Belhadj Mohamed, journaliste italienne experte en géopolitique, qui l’explique pour Ondarossa, radio italienne.

Malgré cela, une partie de la population voit encore en lui la solution non seulement à la corruption mais aussi à la crise alimentaire et à la hausse des prix. La guerre en Ukraine a réduit l’importation du blé en Tunisie, dont 50 % est ukrainien, et a fortement augmenté le prix de l’énergie mais aussi des produits de première nécessité tels que le pain, les œufs ou encore le lait.

Face à ces plébiscites, l’opposition, qui a boycotté le referendum, appelle à la démission du président et à ne pas reconnaitre ce texte comme nouvelle constitution. Mais le boycott en lui-même semble avoir divisé. Pour Ondarossa, Leila Belhadj Mohamed le constate pour de nombreux citoyens : « Personnellement, je n’étais pas d’accord avec le concept de boycott. Je comprenais et j’étais d’accord avec la question de l’illégitimité, mais, à un moment où le référendum n’avait pas de quorum, il était nécessaire de viser le « non » et non le boycott  ».

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