Avant Betty en 2020, Tiffany McDaniel publiait en 2016 L’été où tout a fondu. Pour sortir ce premier texte de l’oubli, les éditions Gallmeister le rééditent à l’occasion de la rentrée littéraire.
Parce qu’il a été poliment invité via une lettre publiée dans un journal par le père du narrateur, le diable arrive un après-midi dans la petite ville de Breathed. Loin d’avoir des cornes et un air effrayant, il se présente sous la forme d’un petit garçon noir en salopette nommé Sal. Alors que ce dernier est hébergé dans la famille de Fielding, jeune narrateur du même âge que lui, de nombreux évènements inquiétants et sinistres se multiplient en ville. La folie et la haine des habitant·es semblent se réveiller avec l’arrivée de ce garçon qui prétend être le diable.
D’abord paru aux éditions Joelle Losfeld en 2016, c’est dans une nouvelle traduction de François Happe que les éditions Gallmeister reprennent ce premier roman. Malheureusement, lu à la lumière du merveilleux Betty, L’été où tout a fondu s’avère vite décevant. Bien sûr, les premiers contours de l’écrivaine s’y dessinent, mais le texte ressemble davantage à un brouillon qu’à un grand roman.
Faulkner en héritage
Comme William Faulkner qui situait l’intrigue de ses romans dans le comté imaginaire de Yoknapatawpha, Tiffany McDaniel ancre ses récits dans la ville fictive de Breathed dans l’Ohio. Faulkner étant à jamais l’écrivain du Sud, McDaniel pourrait, suivant le fil de ses romans, devenir l’écrivaine du Nord. On peut encore filer la métaphore : Yoknapatawpha vient de deux mots Chickasaw (un peuple amérindien) qui veulent dire « terre fendue ». À l’inverse, Tiffany McDaniel, petite fille de Cherokee – ascendance au cœur du roman Betty – nomme quant à elle sa ville en fusionnant (oralement) deux mots de langue anglaise. Dans L’été où tout a fondu, elle explique au début du récit la prononciation du nom singulier de Breathed, mélange de « respiration » et de « tête », puisqu’il faut prononcer « head ».
Enfin, pour les deux spécialistes de littérature nord-américaine Ronan Ludot-Vlasak et Jean-Yves Pellegrin, le passé imprègne les récits de Faulkner : « Le Sud faulknérien se situe dans un temps presque figé, où le passé tisse la trame même du présent. C’est le temps du ressassement obsessionnel, celui de la faute indélébile, du péché ancestral qui voue le Sud à la chute et à l’expiation. »
Terre volée aux Indiens puis souillée par l’esclavage, anéantie par la guerre de Sécession et la faillite économique, le Sud de Faulkner est le lieu de la dégénérescence. »
Ronan Ludot-Vlasak et Jean-Yves Pellegrin, Le roman américain, 2011
Pour Tiffany McDaniel, le Nord ne semble pas moins le « lieu de la dégénérescence », et en particulier Breathed. Au début de L’été où tout a fondu, la ville est décrite comme la « cicatrice du paradis perdu ». L’ombre de Milton plane ainsi sur tout le roman et des citations du Paradis perdu (1667) sont placées en exergue de chaque chapitres. Théâtre principal des malheurs de la famille Carpenter dans Betty, elle est aussi celui de la famille Bliss. On y retrouve les mêmes lieux : le Papa Juniper’s Market et le Dandelion dimes, un café dans lequel on peut payer avec des pissenlits. Cette petite ville semble étouffer ses hôtes et les écraser sous un soleil de plomb. Et comme chez Faulkner, le temps est figé. Certes, l’action se situe clairement en 1980, mais à part quelques références précises, il pourrait s’agir des années 1930 comme des années 1990.
Rythme distordu
L’autre source d’inspiration de Tiffany McDaniel semble être Harper Lee. La référence est très claire puisque dans le roman, l’une des petite voisine de Fielding Bliss lit Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (1960) sous son porche. Monsieur Autopsy Bliss (le père) n’est d’ailleurs pas sans rappeler Atticus Finch. Il est homme de loi, s’habille en complets, élève ses deux fils avec droiture et accueille à bras ouverts le petit Sal contre l’avis de tous·tes. Et comme chez Harper Lee, les enfants sont confrontés au racisme et à la haine. Car, dans L’été où tout a fondu, le Nord censément plus ouvert et historiquement anti-esclavagiste se révèle plus ambigu qu’il n’y parait.
Mais ces nombreuses sources d’inspirations ne suffisent pas pour ce premier roman un peu figé. Le rythme est distordu, soit trop long, soit trop court et les retours en arrière très convenus. Tout le récit est raconté du point de vue du vieux Fielding qui dit ne pas être heureux. C’est donc sans subtilité que Tiffany McDaniel répète qu’il s’agit d’un drame. L’intérêt réside cependant dans les multiples lectures possibles. Lecture allégorique, fantastique, rationnelle, tout au long du livre, on ne sait pas vraiment où souhaite nous mener l’autrice.
Alors que ce n’était pas l’effet escompté, le livre est plus proche du décevant Va et poste un sentinelle d’Harper Lee que de son premier roman. L’été où tout a fondu a tout de même reçu le Guardian’s Not the Booker Prize en 2016. Le succès et la beauté de Betty prouvent d’ailleurs que le jury avait vu juste en récompensant cette jeune autrice au talent à suivre.
L’été où tout a fondu, Tiffany McDaniel, éditions Gallmeister, trad. François Happe, 480 p., 25€60