LITTÉRATURE

« Les Sables » – Absurdité du monde 

Le premier roman de Basile Galais dépeint un monde en déréliction qui prend la forme d’un récit haletant et kaléidoscopique. Dans cet univers troublé, fait de disparitions et d’hallucinations, une phrase joue peut-être son rôle de phare  : «  Comment dire ce que l’on ne sait pas soi-même, ce qui n’a pas de nom, ce qui n’est peut-être qu’un rêve, une folie  ?  ».

Le livre débute par l’histoire de Marlo : « l’enfant d’un hors-champ ». Il est né et a grandi dans la zone d’une cité portuaire avec sa famille : un jumeau, un père qui se bat et une mère qui prend tout en charge. A un de ses doigts, une protubérance que l’on qualifie de « cause de tous les maux ». Une nuit, alors qu’il marche, il assiste à l’arrestation d’un jeune homme par deux hommes habillés en noir. Les jours suivants, les médias annoncent en boucle cette phrase énigmatique : « Le Guide est mort ». Marlo décide alors de se rendre à nouveau sur le lieu de la scène mais tout a disparu : les choses et les gens. Il ne reste qu’une île au milieu de l’océan. 

Au fil de l’histoire, Basile Galais trace des personnages et tisse les liens qui les unissent. Chaque chapitre livre la perspective d’un des personnages sur l’histoire. Dans cette ville portuaire, deux évènements brouillent les contours du réel  : l’expédition mystérieuse d’un groupe de recherche sur une île et l’annonce de la mort du Guide qui s’avère n’être qu’une fake news.

Perspectives diffractées

Dans une écriture sensible et mélancolique, l’auteur met en mots les contours d’un monde en constante métamorphose où les êtres et les faits se nimbent d’une brume faisant planer un doute existentiel. Chaque chapitre permet de récolter des indices en dépliant de nouveaux points de vue qui se recoupent sans jamais se résoudre. Basile Galais fait le choix d’une structure narrative entremêlée qui aiguise notre désir de lecture.

Dennis Hadata est un hacker. Il est à l’origine de la supercherie de la fake news. Cet as de l’information vit la majeure partie de sa vie au travers de son écran. Maëva est journaliste pour une revue locale et en charge de l’enquête sur l’évènement relatif à la fake news restée inexpliquée. Elle est l’amante d’Alexander Flee.

Ce dernier est un riche retraité des services de Renseignements, collectionneur d’art contemporain et l’organisateur de la mystérieuse expédition sur l’île. Ce voyage, dont l’objectif n’est jamais révélé, représente une expérience radicale en ce qu’elle modifie en profondeur le rapport au réel, la façon de percevoir et de comprendre le langage de ceux qui y ont participé. 

Parmi les invités, Ester Logue, professeure de linguistique à l’Université et Gaspar Veder, peintre. Avant l’expédition, Gaspar réalisait des peintures abstraites semblables à des couchers de soleil et Ester enseignait à la fac. Mais ce séjour fait vaciller leur façon d’appréhender le monde. L’auteur décrit les effets de ce bouleversement. Ester, spécialiste du langage, voit le sens des mots se dérober et entre dans des transes langagières durant lesquelles elle profère des discours poético-existentiels cryptiques. Gaspar devient obsédé par la vidéo de la fake news et notamment par la femme éplorée qu’il peint inlassablement comme l’incarnation de la pietà contemporaine, symbole de toutes les lamentations du monde.

Il commence par poser les ombres. Il passe par la masse, faisant naître les formes de l’intérieur et non du contour. Il aime sentir le volume qui monte, le visage qui sort par un simple geste (…) Doucement, la figure émerge à la surface. (…) A mesure que le visage apparaît, l’idée s’impose : de la feuille d’or. C’est l’icône dans la télévision qui l’a frappé ce matin, c’est l’anachronisme qui l’a bouleversé. Il veut lui rendre sa puissance, sa matérialité. Pietà primitive sur bfmtv.

Les Sables, Basile Galais

Son atelier lui est loué par Henri, un vieux barbu, photographe, qui vit avec sa femme depuis des lustres. 

Hybridation du monde

Basile Galais présente un monde où règne le doute, l’absurde et l’irréel. Ses descriptions possèdent une puissance d’évocation certaine. Les espaces sont brouillés. Les temporalités se chevauchent. Les souvenirs sont flous. Le doute remplace la certitude  : «  Rien n’a de consistance, c’est un décor de carton-pâte, un mensonge  ». Seul l’art paraît pouvoir encore saisir quelque chose de ce qui a pu se passer. 

Nous ne savons rien de plus que ce que les personnages racontent dans leur récit. Comme eux, nous enquêtons en tentant de réunir les signes, en recoupant les similitudes, en analysant les comportements et les dialogues. Est-ce un rêve ou la réalité  ? Sommes-nous humains ou avatars  ? En avançant dans le récit, ce qui devait se préciser, glisse. Le vrai et le faux, le réel et le virtuel ne sont plus des mondes distincts. 

Les Sables est le récit métaphysique et hypnotique d’un monde où la tragédie a déjà eu lieu et dans lequel les personnages reconnaissent par avance l’impossibilité de reconstruire, avec exactitude, ce qui est advenu  : «  Le monde a disparu. Tout ce qui reste est là  ».

Les Sables de Basile Galais, Actes Sud, 21 euros.

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