CINÉMA

« To Kill the Beast » – La belle et la jungle

To kill the beast
© Jour2fête

Pour son premier long-métrage, la réalisatrice argentine, Agustina San Martín crée une atmosphère singulière, s’amusant de différentes lisières. To Kill the Beast place son action à la frontière entre l’Argentine et le Brésil. S’entremêlent alors réalisme et onirisme dans la jungle luxuriante.

S’approprier les contes et le fantastique pour raconter les paradoxes des réalités sociales et patriarcales en Amérique du Sud semble être un parti pris cinématographique nécessaire pour une certaine vague de jeunes réalisatrices ces dernières années. On compte parmi elles les dystopies de la Brésilienne Anita Rocha da Silveira, Mate me por favor (2017) et Medusa (2022) ou sa compatriote Juliana Rojas, co-réalisatrice avec Marco Dutra de la fable horrifique Les Bonnes manières (2018).

La cinéaste argentine Agustina San Martin inscrit fondamentalement son premier long-métrage dans cette veine. Dès l’ouverture, un message vocal laissé sur un répondeur, dans une maison laissée à l’abandon depuis peu, dont le seul occupant est un chien, installe l’ambiance mystérieuse du récit. Emilia (Tamara Rocca) débarque de Buenos Aires pour s’enfoncer dans la moiteur de la jungle tropicale, à la recherche de ce frère dont elle n’a plus de nouvelles.

À la frontière entre le Brésil et l’Argentine, l’adolescente rejoint sa tante (Ana Brun), propriétaire d’une auberge. Dans cette atmosphère singulière, tel un monde dans un monde coupé du réseau, une autre quête occupe tout le village. « To kill the beast », tuer la bête, celle qui hanterait la région selon les mythes locaux.

Toutes les nuits, les autochtones recherchent le monstre maléfique, munis de lampes de poche, pour protéger les jeunes femmes. Le fantastique infuse lentement dans la réalité représentée et Agustina San Martin construit chaque plan comme un tableau sensoriel. Elle concentre son attention sur le travail du son, comme élément déterminant de l’étrangeté magique.

L’organique des images se saisit dans les dichotomies entre la chaleur et l’humidité, le conte et le réel. Autant de paradoxes qui conduisent à la véritable quête du récit et de sa protagoniste. Celle de soi, du passage de l’adolescence, de sa sexualité et de son corps de femme dans un monde éminemment patriarcal régit par la peur. « J’ai peur de tout » confie d’ailleurs l’héroïne quand elle rencontre Julieth (Julieth Micolta), pensionnaire à l’hôtel, dont elle va s’éprendre.

Ce lien va lui permettre d’expérimenter sa propre puissance pour tuer les démons du passé, trouver en elle une force en apparence mystique, mais authentique. Et la cinéaste nous emmène avec générosité dans les profondeurs de cette fascinante et lente poursuite cauchemardesque, éveillant le désir de la découverte de ses prochains films.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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