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Rencontre avec Bertrand Belin : « Je vois la vie comme une danse »

Rencontre Bertrand Belin
Crédits Edgar Berg

Le crooner rempli de mélancolie est revenu début mai avec un album synthétique et toujours aussi poétique Tambour Vision. Un nouvel opus qui résonne étrangement avec l’actualité absurde de nos jours, tout ça porté par sa voix douce et atypique sur des rythmes post-punk robotique.

Bertrand Belin, maître des mots, a toujours été en marge et pourtant si proche de la reconnaissance éternelle. L’artiste multi disciplinaire se cherche en musicien au sein de groupes comme Sons of Desert ou encore Zydeco Stompin’ Crawfish et leur musique cadienne.

Ce fils de pêcheur, a composé pour des spectacles et films entre son premier et deuxième album (passés sous silence) pour finir par toucher au succès avec son troisième album Hypernuit, opus onirique orné de guitares arpégées et de douces poésies chantées par le breton. La signature chez Cinq7 et Wagram propulse le guitariste chanteur sur le devant de la scène.

En parallèle de ce succès grandissant, Bertrand compose pour les autres : Olivia Ruiz, Michel Delpech ou encore Bénabar, auront droit à sa plume et à ses instrumentalisations. De belles amitiés se sont formées. Celles de longues date avec Thibault Frisoni, ou celles plus récentes avec les Limiñanas ou encore Barbara Carlotti.

Mais c’est à partir de 2019 que tout s’accélère avec le plus complet de ses albums, le sublime Persona. Les critiques sont charmés et le comparent à Bashung ou le désigne comme un « Nick Cave français ». La notoriété de ce sixième album solidifie la place de Bertrand Belin dans la musique française. Le faiseur de mot laisse couler le temps et attend que le succès se calme pour revenir avec un septième effort plus synthétique.

Les guitares sont plus discrètes et les synthétiseurs de son ami Thibault Frisoni prennent les devants. Tambour Vision sort en ce mai 2022 et résonne étrangement avec l’actualité. Dans cet album, qui est rempli d’ivresse des sens et des luttes, Bertrand Belin nous délecte de musiques puissantes et enivrantes. Nous avons pu le rencontrer dans les locaux de Wagram, où nous parlons d’un chien qui trainaille, d’étymologie inconsciente, et de la vie, de ses combats et de ses imprévus.

Crédits Edgar Berg

Est-ce que c’est un hasard si ton nouvel album résonne bien avec les dernières actualités et les élections ?

Bertrand Belin : Non, je ne pense pas que soit un hasard. Je ne sais pas s’il résonne bien avec l’actualité mais on me disait déjà ça avec mon dernier album Persona. C’est surtout ce qu’il y a de commun à l’actualité, c’est-à-dire cette permanence de ce qu’on entend, la continuation de ce qui est fâcheux.

Mais depuis Persona  il s’est passé quand même pas mal de choses. Est-ce que ça a eu une influence quelconque sur la composition de Tambour Vision ?

Pas à ma connaissance. Peut-être que je découvrirais ça avec un peu de recul. Il ne m’a pas semblé en tout cas être vraiment inspiré ou essayer de transporter les choses tel qu’elles se sont déroulées. Mais en effet j’étais un peu obsédé par cette idée de procession. C’est pour ça qu’il y a tout ces mots «  carnaval  », «  le tambour  », tout ça symbolise la cohorte, le défilé, la marche, peut-être qu’il y a un lien avec les nombreuses manifestations, les doléances légitimes portées par les gens courageux pendant ces dernières années. C’est possible qu’il y ait un lien mais je ne pourrais pas l’affirmer.

Dès la première chanson Carnaval, tu parlais de ce mot-là, on entre dans la mascarade, les déguisements. Est-ce que c’est comme ça que tu vois la société autour de nous ?

Je ne la vois pas comme ça quotidiennement. C’est aussi quelque chose de très personnel, c’est aussi soi-même. Sa propre dualité. Mais c’est vrai qu’on peut très bien concéder et reconnaître à nos prochains, aux autres qui nous entourent d’être aussi pris dans des incertitudes, des doutes et du coup des paradoxes. Le carnaval a à voir avec le renversement de la face qu’on donne à voir aux autres. Et on a besoin de tournoyer comme des toupies parfois. Je me demande si ce n’est pas ça qu’on fait tout le temps. C’est donc à la fois personnel, c’est l’exploration de l’envers de l’homme et du cul de ma tête comme je le dis dans une des chansons. Aller au contact de ce qui fâche déjà en soi et puis ne pas perdre de vue qu’on est chacun au travail de sa propre vie.

Est-ce que c’est pour ça que tu as choisi le mot «  tambour  » dans le nom de ce nouvel opus ? Un instrument utilisé à la base pour motiver les troupes.

Oui, c’est exactement ça.

Mais du coup tu vois la vie comme une bataille ?

Non pas forcément comme une bataille. Je dirais que c’est comme une danse. C’est comme un pas de deux mais sans chorégraphe.

D’ailleurs dans l’album il n’y a pas tant de percussions que ça. La guitare se fait discrète pour laisser place aux synthétiseurs, instrument de prédilection de ton ami Thibault Frisoni. C’était voulu ce changement ?

Je n’ai pas vraiment abandonné la guitare, je lui ai fait jouer une place qu’elle occupe traditionnellement pour jouer des riffs ou des gimmicks. Elle sert à ça dans ce disque plutôt que d’être à la base des compositions comme c’est arrivé très souvent dans mes chansons. Après c’est seulement l’intérêt qu’il s’est créé au fil des années pour d’autres types de timbres et puis ouvrir et regarder comment réagit sa voix dans d’autres environnements. J’ai fait quelques collaborations avec des musiciens comme Plaisirs de France, Molécule, y compris les Limiñanas, Laurent Bardainne et d’autres gens. J’écoute la musique de mes amis, je découvre des disques que j’aime où les gens sont des experts de ces matières notamment Nicolas Godin dont j’ai beaucoup aimé les derniers disques. Mais aussi Malik Djoudi qui a fait des beaux disques synthétiques. J’ai beaucoup aimé Alex Cameron, la façon dont il a d’employer le synthé aussi.

Nous te savons aussi fan de David Byrne et d’Alan Vega. Qu’est-ce qui t’attire chez ces gens-là ?

Ce qui me plait chez eux c’est l’intérêt qu’il portent aux arts de façon général, l’image, la matière. Quelqu’un comme David Byrne, c’est un volcan de créativité. Moi je ne suis quand même qu’un breton (rires). Je suis quand même assez solide mais bon je ne vais pas faire des nouveaux cerfs-volants toutes les 5 minutes.

Revenons sur l’album avec le premier single Que Dalle Tout. Tu parles des zéros, que tu viens d’une longue lignée d’ivrogne. Tu parles de toi ou c’est une image, un sentiment que tu veux faire passer ?

C’est un sentiment que je veux faire passer, une image général qui est inspiré par ma propre vie.

Et en annonçant l’album avec ce morceau tu as parlé d’un chien qui trainaille dans la plupart de tes albums. Tu peux nous expliquez ?

Dans chaque album que j’ai fait, je crois qu’il y avait un chien. Et je crois qu’il y en a un aussi dans celui-là. Le chien est un animal totem pour moi car dans tous mes disques il y a un chien qui pointe son museau. C’est comme sur une scène de théâtre où si vous voulez comme on fait un concert dans un parc en plein air et il y a un chien qui traverse devant le public et qui vient commencer à prendre la vedette. C’est un chien qui vient perturber, un chien pasolinien.

Le deuxième mots de votre album c’est «  Vision  ». Mot qui a connu sa gloire au 20ème siècle. Est-ce que tu penses qu’on a moins d’avenir aujourd’hui ?

Non, je pense qu’on en a tout autant. Il n’y a pas de doute là dessus. Rien de ne viendra contrarier la flèche du temps.

Est-ce qu’on finira sur le cul ? Comme dans la chanson Sur Le Cul dans ton album Persona.

Ça je ne sais pas. Quand on pense au prodige, en quoi consiste le fait que nous soyons là en train de parler, on peut très bien imaginer qu’il existe au moins des prodiges équivalents. Mais bien sûr qu’on a un avenir. Je suis plutôt optimiste de ce point de vue-là. Je vois bien quand même, pour parler plus sérieusement, autour de moi les débats de société, la force avec laquelle la jeune générations s’empare des sujets et de défendre leur vision du monde. Ils sont confrontés à des périls que nous avons peut-être un peu perdu de vue, perdu la réalité tangible, l’imminence tragique. De ce point de vue là je mets beaucoup d’espoir dans la mobilisation des plus jeunes. Il est vrai qu’ils se retrouvent avec une énorme tâche sur les épaules. Malgré cette injustice générationnelle, ça me rend plutôt enthousiaste d’observer ça.

On le sait tu aimes jouer avec les mots pour leur plastique, nous pouvons le voir sur le titre National. Pourquoi fonctionner comme ça ? Il y a un côté dadaïste, voir beat generation, ce sont des inspirations ?

Dadaïste non. Pour moi il n’y a ni dadaïsme, ni surréalisme, ni beat generation véritablement. Bien sûr, on peut trouver et fabriquer des liens car c’est un plaisir de le faire et que ça regroupe une certaine réalité mais pas totalement. Peut-être le rapprochement avec dada c’est la dimension chimique du langage. De faire des précipités au sens chimique avec des idiomes ou des syntaxes nouvellement ordonnées qui font jaillir des possibilités de sens qui ne sont pas le fruit de la marche de la raison mais le fruit d’une expérience méthodologique arbitraire. Je ne fais pas d’arbitraire, pas de cut up, pas de juxtapositions artificielles mécanisées. Je suis toujours en train de travailler avec l’élan d’un certain lyrisme comme avant en ayant intégré toutes ces tentatives et ces mouvements littéraires qui ont eu lieu au cours du 20ème siècle. J’invente la forme mais le moyen reste un vieux moyen romantique un peu.

Il y a une chanson que j’aime beaucoup dans l’album c’est le titre La Comédie, sublime balade ornée de tristesse. Nous nous demandons si nous arrivons à faire la différence entre la comédie et le drame. Est-ce que vous arrivez à faire la différence ou pour vous c’est la même chose ?

Non ce n’est pas la même chose mais c’est un fait qu’elle se déploie dans le même monde et simultanément ou alternativement mais de façon permanente. C’est ce que j’observe même si c’est une vieille observation. C’est l’observation du bien et du mal habitant sous la même cloche à fromage. Le Babybel et le Munster. Je pars du principe que je ne peux pas combattre ou éradiquer ou l’un ou l’autre. C’est une équation perdue d’avance.

Vous préférez du coup être spectateur ou acteur de cette comédie ?

Nous sommes conduits à être les deux. Alternativement. C’est bien d’en être spectateur en même temps que l’acteur car ça montre que l’on n’est pas complètement absent de soi. J’admire les gens qui ont l’air de vivre leur vie en étant un feu et non pas en regardant ce feu. C’est beau, héroïque, romantique au sens du tragique, du romantisme. Mais moi j’ai besoin d’être de part et d’autre. Ça ne veut pas dire être rentré dans une trop grande prudence mais mieux comprendre, accueillir les autres.

On parle d’acteur, car vous avez été acteur pour le film Tralala des frères Larrieu. Qu’est-ce que ça t’a procuré comme sensation de passer derrière la caméra ?

Ça m’a amusé comme un enfant qui fait une chose nouvelle et qui n’en croit pas ses yeux.

C’est quelque chose que tu aimerais refaire ?

Oui, si les conditions sont réunies de talent et de bienveillance, d’une absence de pression. Je n’ai pas envie de faire ça à tout prix. D’abord parce que j’ignore tout de ce que je suis capable de faire et ça je m’en remets aux réalisateurs qui pourraient me proposer des choses. Je n’ai pas envie de devenir une vedette de cinéma à vivre des tournages compliqués, difficiles. Je préfère me préserver de tout ça.

Restons sur ton image et parlons de la pochette de ton album. On te voit proche du vide mais serein, on pourrait dire «  entre la vie et la mort  ». C’est quelque chose qui était voulu cette position particulière ? Avec cette image assez simple un peu New York des années 70 ?

C’est inspiré d’une scène de Vertigo de Hitchcock. Mon ami Chet me l’a posé devant les yeux et j’ai trouvé cette image impeccable pour représenter une sorte d’endroit où je me suis souvent retrouver être. Un isolement subi ou désiré mais toujours dans une contrariété. Essayer de prendre de la hauteur pour comprendre quelque chose, voir que cette compréhension est impossible, puis en éprouver de l’insatisfaction, de la tristesse, la peur de la chute. C’est le plongeon.

Dernière question et je rebondis sur le mot «  Vision  ». Est-ce que tu te vois comme un visionnaire ?

Non (rires). Rien dans mon parcours d’artiste ne laisse penser une chose pareil. Si je devrais me trouver un place ce serait plutôt dans une sorte de classicisme que dans une démarche de visionnaire. David Byrne est quelqu’un qu’on peut considérer comme visionnaire, ou encore Bowie. Mais là je cite des très grands noms et je ne compte pas m’adosser à ces noms-là.

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