Après plusieurs livres consacrés au dogme de la croissance et à l’importance de notre système de protection sociale et de santé, l’économiste Éloi Laurent propose un éclairant abécédaire de tous les poncifs néolibéraux, qui se revendiquent aujourd’hui de la raison économique.
Est-il exagéré de parler de discours dominant en économie ? Un bref regard sur la récente campagne des législatives permet de s’en convaincre. Tandis que le camp présidentiel évoquait l’impérieuse nécessité de faire des économies budgétaires (notamment sur les retraites) pour maintenir notre système à flot, d’autres camps étaient présentés comme ceux de la déraison, voire de l’anarchie. C’est à cette vision binaire, qui prive le débat public de discussions autour de l’économie, que l’économiste Éloi Laurent entend s’attaquer.
Le professeur à Sciences Po Bordeaux n’en est pas à son coup d’essai dans la dissidence économique. Bien loin des arguments libéraux et productivistes, Éloi Laurent dénonce depuis des années certaines visions néolibérales de l’économie, devenues des totems intouchables. Au premier rang d’entre elles, la primauté de la croissance, rendue désirable parce qu’historiquement vectrice de bien-être et d’une hausse des niveaux de vie. Quitte à ce qu’aujourd’hui, dévoyant même la logique initiale du désir de croissance, les pays entament un détricotage en règle de leur droit du travail et détruisent leur environnement – réduisant donc, bien-être et niveau de vie – au nom de cette même croissance.
Gare aux poncifs
Avec La Raison économique et ses monstres, ce sont les arguments « rationnels » égrainés dans le débat public qu’Éloi Laurent entend déconstruire. Tout y passe. Le supposé choix que l’on devrait faire entre notre modèle social financé grâce à la « générosité » et la nécessité de faire des économies. Le « succès » de la révolution numérique durant la crise du Covid. La possibilité de réaliser une transition écologique sans passer par une réduction de notre consommation d’énergie (la fameuse et effrayante sobriété, notamment énergétique).
« On peut penser que la crise écologique remonte à l’avènement du capitalisme (…) mais les éléments empiriques à l’appui de cette thèse sont fragiles. La crise écologique commence vraiment dans les années 1940, lorsque la croissance économique devient le but ultime des sociétés occidentales puis, graduellement, du reste du monde. (…) Ce récit de la croissance économique a survécu à l’explosion des inégalités de revenu au sein des pays depuis 1980 grâce à la réduction simultanée des inégalités de revenu entre les pays »
La raison économique et ses monstres, Éloi Laurent
On peut ne pas être d’accord avec Éloi Laurent. L’économiste, engagé à gauche, est entré au parlement de la Nupes en mai dernier. En revanche, peu importe ses opinions politiques, il faut lire Éloi Laurent. Pour confronter les idées, d’abord. L’économie n’est pas une science dure et les choix économiques doivent être débattus. C’est là le ciment même de la démocratie. Les évidences n’existent pas. Il faut lire La raison économique et ses monstres aussi pour se souvenir de la logique originelle de certaines innovations politiques et sociales. La protection sociale, comme l’assurance chômage, comme le système de retraite, ne sont pas des « générosités » que l’on accorde aux citoyens selon le contexte. C’est un droit pour lequel chaque citoyen cotise, qui doit permettre d’éviter la fameuse « peur des lendemains », vectrice de tant d’inégalités autrefois.
La raison économique et ses monstres d’Éloi Laurent, éditions Les Liens qui libèrent, 12 euros.








