Avec sa mise en scène hybride, Lucien Fradin interroge avec humour la notion de « pédé » et propose de se réapproprier cette notion de manière positive. Un spectacle d’utilité publique.
« Mais au fait, qu’est-ce qui fait pédé ? » C’est la question à laquelle Lucien Fradin et ses deux acolytes, Lu Ottin et Pablo Albandea tentent de répondre dans leur spectacle, présenté au Train Bleu les soirs à partir de 19h20. Force est de constater que la représentation draine un public majoritairement jeune et concerné. Dans la queue pour entrer dans la salle, de jeunes couples d’hommes, quelques uns maquillés et en robe, quelques couples de femmes également.
Seule exception, au troisième ou quatrième rang, la mère de Lucien Fradin lui-même et son beau-père, dont les initiales font P.D., drôle de coïncidence, ce sera mentionné dans le spectacle. Et c’est dommage, tant cette petite pièce, qui semble s’adresser à la communauté gay, questionne avec intelligence et humour les normes de genre de la société toute entière.
Portraits détaillés, le trio (Portraits détaillés, pour les initiales de P.D, là aussi), a été adapté en plusieurs versions, plus ou moins longues, plus ou moins accompagnées et plus ou moins littéraire – Fradin en a même fait un livre, paru aux éditions Les Venterniers. Tout commence avec la découverte par l’auteur d’un vieux carton de lettres envoyées à une revue gay des années 80, dans lesquelles des hommes s’adressaient à une sorte de courrier du coeur, faisant part de leur désirs assumés ou non et de leur volonté de rencontrer un mec.
Humour et Gen Z
Sur scène, Lucien Fradin, Lu Ottin et Pablo Albandea se relaient, alternant lecture desdites lettres – minutieusement rangées dans un petit meuble à tiroir, comme on en trouvait dans les secrétariats des années 80 -, témoignages personnels sur leurs rapports au genre et à la sexualité et chansons sur le mode du karaoké, tout droit tirées d’une culture très Gen Z/Internet.
En apparence léger, Portraits détaillés dresse le portrait d’une communauté homosexuelle protéiforme et aborde avec sincérité les errances des jeunes gays en quête d’eux-même, souvent confrontés à la violence des normes de genre. Lu Ottin, qui se définit sur scène comme non-binaire, évoque ainsi la période durant laquelle iel sortait avec des filles même s’iel « voyait bien qu'[iel] plaisait plutôt aux garçons », et que les garçons, c’était plus son truc aussi. L’occasion également de ressortir des archives de la culture LGBTQ+, contrainte d’exister dans les marges et sur Internet, faute d’avoir accès à la culture mainstream.

Le spectacle – qui n’est pas vraiment une pièce – fait un peu bricolage avec sa fausse présentation Excel/Powerpoint et ses séquences karaoké façon années 2010, mais parvient à imposer son esthétique et son sens de l’humour. La bienveillance, toujours de mise entre les comédien·nes et le public, rendent l’expérience d’autant plus agréable que le texte, derrière ses airs de second degré, renferme un discours politique absolument nécessaire.
Portraits détaillés, le trio, par Lucien Fradin au Théâtre du Train Bleu. Tous les jours à 19h20. 20 euros.