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FESTIVAL D’AVIGNON – « FUTUR PROCHE  », prophétie apocalyptique de Jan Martens

Christophe Raynaud de Lage

En 2021, Jan Martens présentait à Avignon le très réussi et applaudi « Any attempt will end in crushed body and shattered bones » . Cette année il revient dans la Cour d’honneur avec FUTUR PROCHE, une oeuvre plus sombre et exigeante créée pou l’Opera Ballet Vlaanderen (OBV) sur une partition au clavecin de Goska Isphording.

Ce que l’on remarque immédiatement, sur ce grand plateau de la Cour d’honneur, c’est ce clavecin planté au milieu. Il est là, avec une rangé de banc en bois, rien de plus. Il trône à l’image de l’importance qu’il va avoir dans le spectacle qui va suivre. Jan Martens, chorégraphe belge de 38 ans, a développé une passion pour cet instrument désuet « à la marge » comme il dit. Il en avait déjà intégré des passages dans « Any attempt will end… ».

Cette fois-ci, il est seul ou presque pendant l’heure et demie que dure le spectacle. Un choix exigeant pour un public qui, hormis quelques amateurs de musique baroque, n’a surement jamais eu l’occasion d’écouter cet instrument sur une telle durée.  C’est exigeant, parfois difficile. Et pourtant, quelle beauté se dégage de cette partition. On ressort forcément plein d’administration pour la claveciniste Goska Isphording dont l’engagement physique durant toute la représentation  est manifeste et impressionnant. 

Scénographie grandiose 

Certains spectacles ont parfois du mal à prendre la mesure de l’étendue de la Cour d’honneur. La scénographie de départ de «  FUTUR PROCHE », un clavecin et un long banc de bois de 18 mètres qui n’est pas sans rappeler un hall de gare, n’est pas forcément pour rassurer. Mais c’est sans compter sur la capacité d’inventivité de Jan Martens et de son scénographe Joris van Oosterwijk. Une succession de tableaux plus graphiques et grandioses les uns que les autres prennent vie devant nos yeux. 

On retiendra notamment l’impressionnant passage de projection des corps des danseurs sur le mur de fond de la Cour. A l’aide d’une petite caméra utilisée avec beaucoup d’intelligence pour créer des effets d’échelle, les spectateurs finissent presque avalés par des danseurs devenus géants.

Le tableau final fait également forte impression. Après s’être immergé dans un bassin, les danseurs arpentent lentement la scène en sous-vêtements. La lumière rouge n’est pas sans rappeler celle provoquée par des feux, les corps paraissent écrasés par la chaleur. Le clavecin se fait discordant, les poses des corps plus alambiquées. Le « futur proche » de Jan Martens ne semble pas des plus agréable. 

© Christophe Raynaud de Lage

Futur proche et sombre 

Pour Jan Martens, ce spectacle doit permettre de comprendre comment il est possible de se réinventer à partir de la marge. Il s’agit de forcer les corps à trouver un nouveau vocabulaire dans une succession d’obstacles. La virtuosité est toujours interrompue car dans ce monde contrarié elle n’a pas sa place. Les corps y sont mis à rude épreuve, épuisés par le rythme imposé. Le chorégraphe impose aux danseurs de formation classique de l’OBV des enchaînements dantesques de piqués, des courses folles et de pirouettes multiples.

Sous ses abords abstraits qui peuvent désarçonner, le propos du spectacle perce donc relativement facilement. Peut-être trop facilement pour emporter vraiment. Il y a quelque chose d’un peu naïf qui pointe et qui peut aussi ennuyer. On apprécie toutefois la malice qui est parfois convoquée.

Ainsi, la série de « prédictions pour le futur réalisées en 1900 » projetées sur le mur de la Cour d’honneur à la moitié du spectacle font sourire : « les raisins n’auront plus de pépins », « l’Université sera gratuite pour tous les hommes et toutes les femmes »… On les lit en se disant que ces exercices de divination ont de tout temps existé – et se sont toujours un peu trompés. Et, finalement, c’est peut-être la que réside l’espoir.

FUTUR PROCHE de Jan Martens. Durée : 1h30. Jusqu’au 24 juillet au Festival d’Avignon (Cour d’honneur) puis en tournée et du 26 au 28 avril au Théâtre de la Ville

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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