LITTÉRATURE

« De sel et de fumée » – Fragments d’une passion

De sel et de fumée
© éditions Folio

Lucas vient de mourir. Samuel se ressasse Lucas. Dans un récit composé en fragments d’images somptueuses, De sel et de fumée reconstitue l’histoire d’une passion amoureuse déchirée et déchirante. Un premier texte d’une grande virtuosité littéraire.

Si vous avez déjà vu un teen movie, il est possible que vous connaissiez déjà cette histoire. C’est la même que celle racontée dans Normal People (le roman à succès de l’irlandaise Sally Rooney adapté en série), ou que la mini-série Heartstopper (adaptée de la BD d’Alice Oseman), qui a cartonné sur Netflix au printemps dernier. L’histoire de deux adolescents qui se rencontrent et qu’à priori tout oppose, mais qui se rencontrent quand même. Agathe Saint-Maur plante son décor dans les beaux quartiers parisiens ; c’est à l’ombre de la rue Saint-Guillaume (où se situe Sciences Po) que se rencontrent Samuel, le narrateur, et Lucas, l’objet du désir.

Leur rencontre, racontée au compte-goutte par de petits fragments d’histoire, n’était pas faite pour advenir, on le comprend. Samuel appartient à une certaine bourgeoisie parisienne de gauche, du genre qui part en vacances dans sa maison de campagne tout en se gaussant de lire Libé. Il a intégré la prestigieuse école dès la première année d’étude supérieure, contrairement à Lucas, pièce rapportée tout droit issue de la méritocratie. Samuel tente de présenter ses amis à Lucas, la greffe ne prend pas. « Certes, il vient d’intégrer leur école, mais la moitié d’entre eux pensent que c’est par hasard, l’autre, moitié grâce au quotas », lâche-t-il.

Raconter un monde

Elle est un peu maladroite par endroit, cette romance d’adolescents – la narratrice, très jeune au moment de l’écriture, raconte la romance et les scènes de sexe entre deux adolescents homosexuels -, mais pas dénuée de beauté. C’est l’histoire universelle de deux jeunes qui se retrouvent et se déchirent, apprennent à se découvrir et à découvrir ce que signifient les sentiments.

« Quand il soupire, je m’agace, intégriste de son élégance léthargique. Je suis, en tous cas, énervé par ma frustration. De la façon qu’on a de braver l’interdit des lieux sacrés en posant la paume de la main sur une statue conservée, j’aimerais toucher son corps abandonné, profaner pour m’approprier.  »

De sel et de fumée, Agathe Saint-Maur

Si l’intrigue et sa construction sont sommaires – des fragments discontinus qui permettent de raconter des tranches de vies sans liens les unes avec les autres -, c’est le phrasé de l’autrice qui impressionne. Agathe Saint-Maur, vingt-huit ans aujourd’hui et beaucoup moins au moment de l’écriture de ce livre, manie des verbes faits d’images étincelantes et de métaphores qui, à chaque paragraphe, convoquent des mondes nouveaux. Un premier roman plus que prometteur qui réussit un petit miracle, celui de moins raconter l’amour par l’explication que par les sensations, les images et les odeurs. Bref, la vraie vie.

De sel et de fumée, d’Agathe Saint-Maur, éditions Gallimard, 18 euros.

Journaliste

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