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« The Neighbors » – Le vide en ville

The Neighbors
© éditions de L'Association

Dans un album aux accents minimalistes, Jeff Gomez et Laurent Cilluffo mettent en scène l’inquiétante solitude des grandes villes.

Suite au déménagement d’un couple d’ami qui vient d’avoir son premier enfant, le personnage principal (non nommé) s’installe dans leur ancien appartement de New York. Opérateur téléphonique la journée, il arpente le soir l’immense immeuble dans lequel il vit désormais, guidé tantôt par la grande solitude de cette vie moderne jusqu’à la caricature et par les mystérieux bruits de voisins qu’il perçoit à travers les murs. Le problème étant que les voisins qu’il entend n’existent pas vraiment, ou plutôt apparaissent et disparaissent, semblent circuler sans avoir d’existence propre, comme autant d’âmes qui constituent le flux quotidien des grandes métropoles.

Le vide au carré

Chaque page de The Neighbors se rapporte à son sujet. C’est un album sur la solitude, sur l’expérience de la solitude, la solitude qui transpire à travers l’expérience étrange de ce narrateur interloqué par les disparitions mystérieuses et inquiétantes de ses voisins, mais qui passe aussi par le dessin, aux traits outrageusement minimalistes. Ceux-ci se déparent de tout : pas de couleurs (seulement deux), aucun trait en trop (les personnages ressemblent presque à des legos).

Mais surtout, c’est l’immense vide de l’immeuble et ses vastes espaces blancs qui semblent engloutir le lecteur à chaque case, comme une expérience sensorielle supplémentaire. Au vide existentiel du personnage principal s’ajoute le vide, bien incarné lui, des pages.

Cette « enquête », menée par le narrateur sur plusieurs semaines, cartographie ainsi tous les pans de vides de nos existences modernes. À la manière d’un Lost in translation, qui relevait avec élégance tous les décalages absurdes entre les coutumes japonaises et l’occidentale Kirsten Dunst, le personnage principal traverse, à chaque moment de sa journée, des vides existentiels.

La journée, au travail et dans l’open space, alors qu’il est opérateur téléphonique et forcément, invisible et invisibilisé par les clients potentiels qui lui raccrochent au nez. Le soir ensuite, lorsqu’en quête de dialogue avec quelqu’un, il tombe sur des voisins évanescents, dont on n’entend le bruit mais on ne saurait attester de l’existence. Il y a les produits standardisés, les intérieurs jamais meublés – faute d’attache réelle à ces grandes villes –, le coup d’un soir envolé dès le lendemain matin. Autant d’expériences du vide qui nient notre singularité. «  Tant de gens. Tant de bâtiments. Tant de boîtes. Tant de voisins  », conclut le narrateur.

The Neighbors de Jeff Gomez et Laurent Cilluffo, éditions de L’Association, 23 euros.

Journaliste

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