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Prix BD des étudiants France Culture-Inrockuptibles #2 – Les Mystérieux hasards de l’hiver

Takehito Moriizumi © Le Lézard Noir
Takehito Moriizumi Les Mystérieux hasards de l'hiver © Le Lézard Noir

À l’occasion du Prix BD des étudiants France Culture et Inrocks, la rédaction littéraire décortique les albums en lice. Après La Conférence, place aux Mystérieux hasards de l’hiver (et autres histoires).

Composé de dix histoires courtes, Les Mystérieux hasards de l’hiver oscille entre réalisme et fantastique. Sous la plume du mangaka Takehito Moriizumi, la frontière entre les deux est si fine, que l’on ne sait jamais si le basculement de l’un à l’autre aura (ou a) lieu. Peuplées de fantômes ou d’âmes en peine, ces dix histoires souvent à huis-clos, intriguent et plongent dans une ambiance inquiétante.

Intertextes

Serii (2020), le premier manga de Moriizumi publié en France par Atelier Akatombo, racontait l’histoire d’un jeune homme reclus dans un immense manoir qui avait pour toute compagnie une androïde. Celle-ci lui faisait la lecture, et grâce à elle, il s’évadait hors des murs de son domaine. Vint ensuite toujours chez le même éditeur, 1984 – La Luciole, un manga qui risquait le pari fou de mêler l’univers d’Orwell avec celui de Murakami. L’intertextualité est donc au cœur de l’œuvre du mangaka qui aime revisiter les mythes et autres histoires de fantômes. Les Mystérieux hasards de l’hiver paru cette fois-ci aux éditions du Lézard Noir ne fait pas exception. Deux de ces courtes histoires sont par exemple adaptées de celles de Yoshio Kataoka et Rabindranath Tagore.

Mais au-delà de la claire intertextualité, d’autres références peuvent venir à l’esprit et troubler la lecture en rendant plus poreuse encore la frontière entre le réalisme et le fantastique. Dans « Le Dernier ferry », une jeune femme rencontrée par hasard quitte toujours le narrateur pour prendre le dernier ferry. Si elle reste, va-t-elle se transformer en Cendrillon ? Dans « Resplendissant de réalisme », une écrivaine en panne d’inspiration fait un double des clefs de la maîtresse de son mari. Va-t-elle ouvrir la porte et se trouver chez La Barbe bleue ? Dans la nouvelle éponyme enfin, un jeune homme rencontre tous les soirs le fantôme d’une jeune fille sur un pont. Est-ce elle qui est morte ou lui, comme dans Le Sixième sens ? Voilà autant de questions sous-jacentes qui peuvent mener à des fausses pistes et ouvrir des portes d’interprétations riches.

Contes du hasard et autres fantaisies

Dans sa postface, le mangaka dit écrire pendant la «  période étonnante  » du confinement. Est-ce cette année 2020 qui lui a inspiré certaines de ces histoires de voyages au bout du monde et ces huis-clos oppressants ? Toujours est-il que ce one-shot tout en contrastes interroge avec délicatesse des thématiques essentielles du confinement. Il y est beaucoup question de deuil et des fantômes qui viennent nous hanter, mais aussi du temps qui passe, de la solitude et de la peur de l’engagement. Mais l’ensemble n’est jamais pesant et les hasards mis en scène sont au contraire très fantaisistes.

Takehito Moriizumi complète donc son œuvre avec cette série d’histoires courtes et composites. Lui qui travaille d’habitude au cure-dent a troqué ce drôle d’instrument pour un stylo à bille afin de réaliser les traits des Mystérieux hasards de l’hiver. Tour à tour horrifiques, paisibles, troublantes ou tristes, ces histoires courtes d’apparences hétéroclites forment finalement un ensemble aussi harmonieux que surprenant.

Les Mystérieux hasards de l’hiver (et autres histoires), Takehito Moriizumi, éditions Le Lézard Noir, trad. Léopold Dahan, 224 p.,13€

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