LITTÉRATURE

« On ne naît pas mec » – Dans la fabrique à dominants

Couverture
© Éditions La Découverte

Daisy Letourneur se place sous le signe de Simone de Beauvoir en inversant sa célèbre formule «  On ne naît pas femme  : on le devient.  » Elle propose dans cet essai une visite guidée des machines à dominer que sont les hommes dans une société patriarcale et capitaliste. Encore une pépite de la collection Zones, aux Éditions La Découverte  !

On ne naît pas mec – Petit traité féministe sur les masculinités, comme son titre l’annonce, est une excellente porte d’entrée vers la question féministe pour tous les hommes (même les soi-disant hommes déconstruits, vous verrez !). D’abord parce qu’il est primordial de comprendre son rôle, qu’il soit assumé ou imposé, dans le système injuste et violent que nous connaissons depuis plusieurs siècles. Ensuite parce que ce livre permet autant de se remettre en question individuellement que de réfléchir à des solutions collectives.

En 1978, la philosophe Simone de Beauvoir expliquait sa formule en précisant  : «  On fabrique la féminité comme on fabrique d’ailleurs la masculinité, la virilité. Il y a eu beaucoup d’études très intéressantes de psychanalystes, de psychologues, ou autres, pour démontrer ce fait.  »

Daisy Letourneur revient sur ces études pour offrir une vulgarisation aussi drôle qu’efficace. Si bien que l’on en vient à se demander comment un tel livre n’a pas été publié plus tôt  !

Daisy remet les points sur les i

Les i de virilité par exemple, il y en a plein à remettre  ! Déjà, qu’est-ce qu’on entend par virilité ? Est-ce que c’est forcément une bonne chose dans une société dont les valeurs sont censées être (entre autres et au hasard ! ) la liberté, l’égalité, la solidarité… ? Et puis, les hommes sont-ils vraiment virils, ou s’agit-il d’un mythe bien pratique lorsqu’il permet de justifier des comportements violents et irresponsables  ? L’autrice nous montre toujours les deux facettes de ces phénomènes sociétaux  : l’impact psychologique et politique. Sur la question de l’impact négatif que représente la virilité pour la société, voir aussi Le coût de la virilité, de Lucile Peytavin.

On ne naît pas mec aborde de nombreux autres sujets, toujours en posant les bonnes questions, en cassant les idées reçues à coup de chiffres et de bon sens. À la fin de chaque chapitre une petite bibliographie «  Pour aller plus loin  » est même proposée. Il est question d’homophobie, d’homosocialité, d’alexithymie, de féminicides, de consentement, de masculinistes, etc. Tous les sujets essentiels à une réflexion complète sur le patriarcat. Une réflexion au travers de la masculinité telle qu’elle peut être vécue par chacun.

Difficile de résister à l’envie de partager un petit extrait sur un sujet d’une importance capitale  :

Mais que nous dit-on quand on dit que les hommes ont du mal à saisir le consentement en matière de sexualité  ? Qu’ils ont un soucis de comprenette, qu’il faut leur expliquer, que toute leur éducation est à refaire. Mais, par là, il me semble que l’on peut tendre aussi à valider leur hypocrisie. Car je crois, moi, que les hommes comprennent en général tout à fait de quoi il s’agit et qu’ils savent aussi se retenir s’il le faut. C’est juste qu’ils n’en ont pas envie.

Daisy Letourneur, On ne naît pas mec

Une jolie porte d’entrée vers la déconstruction

D’accord, les hommes déconstruits ne sont peut-être pas l’avenir du féminisme, comme le dit l’autrice avec une pointe d’ironie. Surtout s’il s’agit pour eux d’une nouvelle tactique de séduction, charriant son lot d’irrespect, de préjugés, de comportements compétitifs.

Mais comment ne pas sortir un tant soit peu déconstruit (pour de vrai cette fois) d’une telle lecture ? Quand on démythifie, quand on rationalise, qu’on démonte les stéréotypes, expose les mécanismes psychologiques, chiffre les conséquences sociales et dénonce les causes politiques… C’est la vérité que l’on aperçoit sous l’édifice à détruire.

La première partie du livre est d’ailleurs consacrée à la définition de l’homme, du mec. L’autrice convoque des connaissances historiques, anthropologiques, scientifiques pour dresser un portrait réaliste de l’homme et de ce que serait sa nature. Elle explique notamment (en reprenant la thèse de la sociologue Raewyn Connell) qu’il existerait aujourd’hui quatre grands types de masculinités : hégémonique, complice, subordonnée, marginalisée.

Les hommes définissent les règles du jeu

En bref (et caricatural), les hommes qui définissent les règles du jeu, ceux qui jouent le jeu, ceux qui le subissent, et ceux qui jouent à un autre jeu dans leur coin. Les frontières entre ces catégories sont poreuses mais témoignent bien souvent de la justesse du concept d’intersectionnalité (c’est-à-dire qu’un homme blanc riche et hétérosexuel fera plus facilement partie des deux premières catégories, et inversement).

On ne naît pas mec est donc une très bonne première lecture féministe pour les hommes (et une bonne lecture supplémentaire pour les personnes qui s’identifient à un autre genre). Celles et ceux qui ont déjà lu de nombreux essais féministes y apprendront tout de même plein de choses. Iels pourront rire (jaune parfois) en se laissant surprendre par des tournures de phrases expéditives, un choix de vocabulaire très libre, des questions rhétoriques amusantes. Le style de Daisy Letourneur est très agréable, tantôt acéré tantôt léger ; le tout ponctué de dessins très drôles. Ce livre est aussi une mine de répartie contre les arguments en carton des virilistes de tout poils !

On ne naît pas mec de Daisy Letourneur, éditions Zones, 18 euros.

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