LITTÉRATURE

« Journal de nage » – Joie sans raison

© Editions du Seuil

Chantal Thomas fait le récit journalier de son rapport intime à la nage dans les eaux profondes. Dans Journal de nage, elle tient le bulletin poétique des plages sur lesquelles elle se rend et fait le relevé des livres lus ou remémorés. 

Le récit commence pendant le confinement. Les corps sont mis à l’arrêt et si l’auteure a tenu bon, c’est grâce à la littérature. Cette femme a le don de nous faire pressentir qu’une lecture peut sauver la vie, si elle tombe au bon moment. La nage jaillit dans ce livre par le biais de la figure de l’écrivain Franz Kafka qualifié de «  nageur passionné  » qui ne goûtait véritablement les lieux visités qu’en y nageant. Alors, celle qui affirme nager «  dans le sillage de ma mère  », prend note, jour après jour, de ses nages libres, de ses souvenirs et de ses lectures.

Au fil de l’eau et des jours 

Son journal commence le 6 juin 2021, date de son premier bain de l’année, à Nice. Ses notes décrivent aussi bien les lieux qu’elle fréquente (ses plages préférées, ses plages d’enfance) que les gens qu’elle observe (ils s’ébrouent, font des ricochets, échangent quelques mots) ou bien la qualité de l’eau (sa température, sa couleur, son agitation, sa teneur en poissons). Elle en fait différents relevés poétiques  : «  L’eau aujourd’hui, toujours aussi froide au premier contact  », «  Ce matin, l’eau est verte, couleur manteau d’huître  » ou encore limpide comme «  du verre à l’état liquide  ». 

Dans cette eau, elle nage depuis qu’elle est enfant. La nage, qui n’est pas la pratique sportive de la natation, est un exercice de liberté. Elle est une pratique simple et salvatrice. Elle procure une sensualité délicieuse et une certaine jouissance. Flânerie totale, elle met le corps au contact de l’élément aqueux et modifie complètement le rapport au sensible. Le corps est immergé dans un autre milieu où il devient sans âge et sans poids. Pour Chantal Thomas, nager est une habitude, comme le café au réveil. C’est une pratique quotidienne dont elle note les petites différences quotidiennes.

L’eau ne porte aucun message funeste aujourd’hui. Elle est très douce, tiède et sans mollesse. Elle appelle la langueur d’une nage dans le désir que s’étire chaque seconde, que dure encore et toujours un peu plus longtemps le bain du matin. 

Journal de nage, Chantal Thomas

Suivre le flux de l’écriture

A cette habitude de nage fait écho son habitude de lecture. Elle fait le récit de ses séances en apesanteur dans l’eau de mer mais aussi de ses expéditions littéraires. Elle lit Joan Didion, Virginia Woolf, Roland Barthes, Casanova ou encore Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo et Héros et nageurs de Charles Sprawson. 

Puis, bien sûr, il y a le temps de l’écriture. La fluidité de l’eau a quelque chose de la labilité des rêves. Les scènes ubuesques du quotidien se mêlent à ses baignages et à ses rêveries. Elle note les bribes oniriques qui la traversent  :  une radiographie lui révélant la matière ouatée de ses os ou encore la découverte d’un glacier qui propose une glace couleur grise, parfum «  ciel de Paris  ». Elle a des traits d’esprits comme proposer d’appeler une chaîne de café  : Boire la tasse et des tournures exquises sur l’art d’écrire  : «  J’ai tellement désiré cet été, je voudrais ne pas le laisser filer sans tenter de le fixer, sans chercher à en retenir quelque chose dans la nasse de mes phrases.  ».

Chantal Thomas témoigne de son amour pour la nage, « voie de la joie sans raison  ». Ce livre, que l’on ne résume pas, produit des images et fait pressentir des émotions qui donnent envie de pourfendre les lames des vagues pour éprouver sa liberté dans le courant des eaux vives. 

Journal de nage de Chantal Thomas, Editions du Seuil, 17euros.

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