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« Venezuela » : la liturgie envoûtante de la Batsheva Dance Company

© Ascaf

Le chorégraphe Ohad Naharin est de retour au Théâtre de Chaillot avec Venezuela. Déjà présentée en 2018, cette pièce pour dix-huit danseurs impressionne toujours. Intense et exigeante, elle confirme la supériorité artistique du chorégraphe israélien. 

Le retour de la Batsheva Dance Company, fondée en 1964 par Martha Graham et réputée pour être une des meilleures du monde, était très attendu. Depuis 1990, la troupe est dirigée par Ohad Naharin, le rédacteur de la méthode Gaga, une approche de la danse centrée sur le corps, qui se pratique sans miroir et exerce une certaine fascination. Les amateurs de danse contemporaine avaient donc hâte de retrouver la troupe après plusieurs reports dus au Covid.

Liturgie envoûtante 

Sur scène, un petit groupe de danseurs nous tourne d’abord le dos. Progressivement, portés par la musique grégorienne, ils semblent performer une sorte de rituel mystérieux. Les femmes paraissent disposer d’un statut particulier, voire supérieur. Pendant plusieurs minutes, elles arpentent la scène à califourchon sur le dos d’hommes à leur service. Les différents styles de danse embrassés successivement sollicitent et subliment les corps. Quelques pas de tango, de rock acrobatique puis de hip-hop. La virtuosité est totale. 

Un instant, le groupe entonne au micro un texte en anglais. Un sermon ? On se ravise quand on saisit le caractère osé, voire obscène de certaines paroles. Déjà, quelque chose semble ne pas tourner rond. Un chaos assourdissant finit par envahir la scène. Les corps se dérèglent, les danseurs deviennent des pantins désarticulés (ou des fidèles possédés ?). Fondu au noir.

© Ascaf

Effet Rashomon 

Au cinéma, « l’effet Rashomon » consiste à raconter la même histoire selon des points de vue différents. Plus attentif et placé en état d’alerte, notre œil repère ce qui demeure identique mais aussi tout ce qui change. On pourrait dire que Venezuela  – définitivement aucun rapport avec le pays – explore ce concept sous la forme dansée.

Sur le plan chorégraphique, la deuxième partie du spectacle est une copie conforme de la première. Et pourtant, rien n’est pareil. Un dérèglement semble s’être opéré, pour notre plus grand plaisir. La distribution change et permet de révéler toute la singularité des danseurs. Les accessoires et les musiques également. Exit les chants de messe. Ils laissent place à une bande son internationale : rap US (on reconnaît dans cette seconde partie les paroles de Dead Wrong de The Notorious Big et Eminem), pop asiatique et moyen-orientale. Notre point de vue a été déplacé, les pas semblent prendre une nouvelle signification. Les corps continuent d’osciller entre légèreté et ancrage au sol, déplacements au ralenti et figures acrobatiques enfiévrées. 

Avec cette pièce exigeante, Ohad Naharin confirme sa domination sur la chorégraphie israélienne. L’influence de ses pièces sur la création contemporaine est manifeste et pourtant, ses spectacles ne ressemblent à rien d’autre. Début mai, La Grand Halle de la Villette accueillait les pièces d’Hofesh Shechter et Sharon Eyal, deux anciens membres de la Batsheva Company. Des élèves qui n’ont pas encore dépassé le maître. 

« Venezuela », Batsheva Dance Company/Ohad Naharin. Jusqu’au 27 mai au Théâtre National de Chaillot. Durée : 1h20. Tarifs : 8 à 43€. Informations et réservations : ici

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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