Dans un essai sensible et engagé, agrémenté d’un appareil critique précis, les Éditions Cambourakis proposent de remettre en perspective le texte « La Hague, ma terre violentée » de Xavière Gauthier pour montrer l’actualité et la nécessité d’un combat écoféministe.
Retour à la Hague est le récit d’une aventure éditoriale entre trois femmes : l’autrice Xavière Gauthier, son éditrice Isabelle Cambourakis et l’anthropologue Sophie Houdart, dont l’enjeu est la republication du texte anti-nucléaire de Xavière Gauthier, La Hague, ma terre violentée, paru pour la première fois en 1981.
Le livre réunit la correspondance entre les trois femmes qui ont permis l’existence de ce livre ainsi qu’un texte de Xavière Gauthier publié en 1981 et une lettre qu’elle adresse à Greta Thunberg en 2022. Xavière Gauthier se définit comme une « femme en lutte » qui défend une pensée écologiste et anti-nucléaire. Elle est à l’origine de plusieurs livres, notamment, Les Parleuses, livre-entretien avec son amie Marguerite Duras. Elle fonde en 1975 la revue littéraire et artistique, Sorcière, qui propose un espace de lutte et d’expérimentation par l’écriture.
Renaissance d’un texte
Texte poétique, philosophique et activiste, La Hague, ma terre violentée de Xavière Gauthier, est d’abord publié par extraits dans la revue Sorcière. Ce n’est qu’en 1981 qu’il est publié en entier chez Mercure de France. Un an auparavant, elle consacre un numéro entier de Sorcière à la lutte écologique depuis une perspective féministe intitulé « La nature assassinée ». A cette époque, plusieurs activistes réfléchissent à des modalités d’actions et de résistances. Ainsi, Françoise d’Eaubonne, théoricienne et invitée du numéro, est la première et la seule, à l’époque, à utiliser le terme d’« écoféminisme ». Ensemble, elles rejettent le choix politique de nucléariser le pays pour assurer la production d’électricité à grande échelle. Elles réfléchissent à une nouvelle manière de concevoir notre monde à venir.
La Hague, ma terre violentée est un texte qui secoue en dénonçant la pollution nucléaire et en particulier, la construction de l’usine de traitement de déchets nucléaires dans le Cotentin, terre d’enfance de l’écrivaine. Elle juxtapose sa prose poétique et sensuelle à des extraits d’articles scientifiques et à des tracts politiques. Elle célèbre les noces du corps avec les éléments et alterne avec la disparition d’espèces animales et végétales et l’empoisonnement des ressources.
Destruction de la fertilité
C’est enceinte que Xavière Gauthier se lance dans l’écriture de ce texte. Ce détail n’est pas sans importance car, pour Xavière Gauthier, le pouvoir patriarcal est la cause de deux oppressions majeures : la domination des femmes et la destruction de la nature. Dans les deux cas, la fécondité, des corps ou des sols, est mise à mal. Les femmes subissent un taux de stérilité de plus en plus élevé, voient leurs embryons subir des déformations. L’environnement est abîmé et la biodiversité radicalement réduite. C’est pour cela que la lutte des femmes et la lutte contre le nucléaire doivent, selon l’auteure, s’articuler dans un même mouvement de résistance :
Parfois je repense à cette force de la nature et à cette force du féminin. Cette force lente, endurante, patiente – des arbres – (des femmes ?) ; cette force souterraine, imprévisible, circulante – des rivières – (des femmes ?) (…) Et je sais que c’est par peur de ces puissances de vies que l’homme massacre et défigure.
Retour à la Hague, Xavière Gauthier, Sophie Houdart et Isabelle Cambourakis
Puissance du collectif
En préambule, nous pouvons lire la correspondance entre les trois femmes à l’initiative de ce projet : Sophie Houdart, anthropologue qui travaille sur les effets du nucléaire à Fukushima, Isabelle Cambourakis, éditrice de la maison d’édition et Xavière Gauthier. Elles échangent à propos du projet de publication, de leur vie quotidienne, de leurs recherches et se donnent des conseils de lectures. Ensemble, elles retracent aussi le contexte de lutte des années 1980 et l’histoire de l’écoféminisme. Elles ravivent le souvenir de luttes comme celles du MLF, des actions des Allumeuses de réverbère en 1977 ou celles des Pétroleuses. Enfin, elles se rappellent des vérités effarantes répétées depuis des décennies qu’il ne faut oublier :
Les déchets se voient (…) offensent le bien-être, la raison. Une cannette par terre = pouah ! 10 000 tonnes de déchets nucléaires = rien. Les déchets lambda ont une durée de vie ridiculement courte (…) Pour les déchets nucléaires, on ne peut pas compter à l’échelle humaine, il faut passer à l’échelle des étoiles.
Retour à la Hague, Xavière Gauthier, Sophie Houdart et Isabelle Cambourakis
A ce rappel historique fait écho une lettre adressée au futur. Cette lettre, présentée en postface, est celle de Xavière Gauthier destinée à Greta Thunberg et écrite en 2022. Ce texte est un SOS lancé à la jeune génération de sorcières, dont elle est une des représentantes. Quarante ans après son premier texte, l’autrice rappelle, désespérément, qu’il est toujours d’actualité d’alerter et d’éduquer sur les dangers du nucléaire.
Retour à la Hague propose un regard à la fois rétrospectif sur les luttes écoféministes des années 1980 et prophétique sur le péril, inévitable, qu’encourt notre humanité.