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Rencontre avec Nadia Tereszkiewicz : « On apprend beaucoup sur soi à travers les personnages »

Nadia Tereszkiewicz
© Haut et Court

Deux semaines après Babysitter de Monia Chokri, Nadia Tereszkiewicz est à l’affiche de Tom, le touchant dernier film de Fabienne Berthaud. Elle y interprète une très jeune mère vivant avec son fils dans un mobile-home. L’actrice solaire sera à Cannes pour Les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi, présenté en compétition. Rencontre.

Qu’est ce qui t’a plu à la lecture du scénario de Fabienne Berthaud ?

Le scénario m’a beaucoup touché. J’ai adoré la relation entre Joss et Tom, le rapport qu’il y a entre eux. Ils s’entraident tous les deux. Ce sont deux personnages qui sont quelque part seuls, chacun dans sa solitude. Et ils ont besoin l’un de l’autre. Face à ce qu’ils doivent affronter dans la vie, ils restent très positifs et solaires. Elle est pleine de courage, elle veut toujours rebondir même si elle est fragile. Elle doute, elle a besoin d’avoir confiance en elle et dans les autres. Ce qu’elle n’a pas, car elle a été déçue, jeune et elle a peur de faire confiance comme elle a été délaissée. Et il y a une vraie évolution du personnage au fil du scénario. Il y a une prise de conscience. L’arrivée du personnage de Sami va troubler l’équilibre entre les deux. Elle est dans une forme de jalousie et ensuite va accepter pour son enfant, mais aussi pour elle. J’ai aimé aussi le côté microcosme et huis clos qui fait que l’on est dans l’intime et en même temps dans une dimension assez universelle par les différentes tranches d’âge représentées. La vieille, le jeune enfant, le jeune adulte, la jeune mère qui n’a pas fini l’enfance, mais a des responsabilités d’adultes.

Justement, comment s’est passé le tournage car on ressent un rare plaisir à jouer tous ensemble, en étant peu d’acteurs.rices ?

C’était dingue, car on a tourné pendant le deuxième confinement. Donc il y avait un peu une mise en abyme. On était confiné à Berck-sur-mer dans des bungalows. On vivait tous ensemble. Et avec le Covid, on ne pouvait voir personne d’autre. Il y avait quelque chose de très intime. Fabienne filme en lançant l’action et après, on voit ce qu’il se passe. Elle ne découpe pas. On était vraiment dans des moments de vie. J’ai eu une joie immense de travailler avec Tanguy, qui est très mature. Je n’avais pas encore travaillé avec des enfants. Il y avait une complicité à trouver et en même temps, c’était très facile. Mais il fallait qu’il garde son monde à lui dont mon personnage ne fait pas partie. Donc j’ai pris plaisir à créer une vraie relation. Et avec Félix, c’était formidable. J’adore cet acteur, je l’admire. Et même si on le connaît dans la vie, dans le jeu, il arrive à passer d’un truc très enfantin à un truc très inquiétant. Ça me mettait pleinement dans des moments de jeu. Je me souviens d’un instant dans la caravane où il toquait et Fabienne disait juste « ACTION » et j’étais véritablement en stress. Et au-delà de ça, tout l’amour qu’il a pour l’enfant. Je ne sais pas si on peut le dire, mais ce n’est pas un film à suspens, c’est plus une atmosphère.  

Qu’est ce qui t’attire chez les personnages que tu interprètes, j’ai l’impression qu’il y toujours une forme de marginalité, un petit truc à part.. 

C’est vrai que ce sont des personnages un peu en marge. Joss, elle est en marge de la société. Mais pour l’instant, j’ai eu des rôles complexes, profonds avec des contradictions et beaucoup de sensibilité. C’est tellement jouissif de se plonger dans des personnages que l’on essaie de comprendre. On apprend beaucoup sur soi à travers ces personnages. Et on essaie d’apporter ce que l’on a nous, tout en n’étant pas nous. C’est quand même génial. Il y a des choses que l’on fait dans les films que l’on ne ferait jamais dans la vie. Jusqu’ici, j’ai eu des expériences où on peut vraiment vivre et s’autoriser des choses. Dans Tom, la scène à la pharmacie, le personnage a tellement de courage et d’audace. Je me suis dit que je n’aurai jamais fait ça dans la vie. Et les gens qui sont là, ce sont des figurants, mais sur le moment, pas du tout. Même dans les films que j’ai faits avant ou encore là dans Les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi, qui sera à Cannes en compétition. Il y a une scène où je cours dans une église seins nus. Jamais je n’aurais pu le faire dans ma vie.

Tu te retrouves quand même dans ces personnages ? J’ai lu que Fabienne t’avais justement voulu pour ton côté solaire. 

Je ne sais pas trop, mais ça me fait plaisir si elle a pensé à moi pour ça. Quand j’ai lu le personnage de Joss, je m’identifiais à ça. En-tout-cas, c’est quelque chose que j’ai envie de cultiver. Dans la vie, on n’est pas toujours positif, mais j’ai grandi avec beaucoup de positivité dans ma famille. Ma mère est une boule de joie. J’essaie de garder ça même si parfois la vie fait que ce n’est pas évident. Je trouve ça assez génial de pouvoir le stimuler. Parfois, il y a des parties de soi, comme la part enfantine qu’on essaie de réveiller. Il y a une façon de se découvrir à travers les personnages, qui est assez intéressante pour ma vie. Je garde un peu de chaque rôle, de leurs bons côtés. Après, il y a des choses dont on a envie de se débarrasser très vite. 

Tu avais été révélée dans Seules les bêtes et la série Possession, mais ça doit être une période excitante pour toi d’être en un mois à l’affiche de trois films : Babysitter de Monia Chokri, Tom et Les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi

Après, je prends chaque film comme une bulle donc je ne m’en rends pas vraiment compte. Là Tom, je suis heureuse que le film sorte, car on l’a tourné il y a plus de deux ans. On s’est rencontré en 2019 avec Fabienne, avant l’épidémie. Elle m’a choisi alors que je n’avais encore rien fait, je sortais du tournage de Seules les bêtes, mais elle ne l’avait pas encore vu. Elle avait seulement vu ma photo et on a fait une lecture.  

Avec Monia, on s’est rencontré en 2020, c’était mon premier tournage post-confinement. Et c’était une période douloureuse donc je suis heureuse de savoir que les films sortent, qu’ils soient enfin vus. J’espère qu’ils auront une vie, mais c’est sûr que c’est fou qu’ils sortent tous en même temps. Mais je les considère très différemment et comme des moments à part de ma vie.

Pour le film de Valeria, l’étape du casting a duré quatre mois. Elle voulait me voir dans un autre contexte, car c’était pour un personnage inspiré d’elle. Et il fallait qu’elle arrive à se détacher du personnage. On a travaillé pendant quatre mois et après, j’ai su que je faisais le film. Après chacun de mes films, il y a eu une forme de petite étape. Et Valeria elle a fait partie d’une sorte de changement dans ma vie. À partir de Seules les bêtes, ça a été une rencontre déterminante. Mais mine de rien : Monia m’a vu dans Seules les bêtes, Robin Campillo aussi. Car j’ai tourné avec Robin Campillo pour son prochain film École de l’air et dans La Dernière Reine de Damien Ounouri où je joue un rôle plus secondaire, une guerrière, esclave scandinave en 1500 en Algérie. 

© Haut et Court

Est-ce que la danse t’a apporté quelque chose en plus quand tu as commencé en tant qu’actrice ?

Je pense que la danse donne une rigueur et un sens de l’effort qui fait que, même si je commence à m’en détacher, j’avais une force de travail. J’ai toujours eu beaucoup d’énergie, je suis assez hyperactive, mais la danse, c’était tellement toujours plus. Je pense que j’ai cette force-là, c’était trop pour la danse, mais il y a une forme de perfectionnisme que j’ai gardé. Mais c’est surtout le rapport au corps qui m’a beaucoup aidé dans le rapport à l’espace et aux autres. C’est la manière de bouger dans l’espace. Avec Fabienne, c’est très différent de chez Monia, mais ça demande de s’adapter. Chez Monia, c’est comme une chorégraphie, chez Fabienne, il faut être très libre avec son corps même si on porte des personnages qui sont mal dans leur peau. Et comme je dansais depuis toute petite, il, y avait quelque chose de ça. On nous demandait de travailler avec le corps, on n’avait pas le droit de parler. C’est d’ailleurs pour ça que je voulais faire du cinéma, j’avais besoin de parler (rires). Il y a un moment où je sentais que je ne m’exprimais pas assez bien. Je sentais que je n’étais pas complètement épanouie. Il manquait quelque chose. Et la danse m’a donné une sensibilité qui fait qu’il y a des choses qui me bouleversent. Je pense que c’est parce que j’ai écouté autant de musique classique, vu de ballets petite et que j’ai été confrontée à des chorégraphes, à des pièces, que même si j’ai des lacunes en cinéma, il y a des choses artistiques en moi. Je voyais Pina Bausch à l’âge de 5 ans. Et je me souviens, il y a eu une évolution. J’avais vu Café Müller enfant, je n’avais pas compris, mais j’avais vu mon père en larmes, je l’ai revu à 12 ans, je ne comprenais toujours pas, mais ça m’intriguait et à 16 ans, j’étais bouleversée, c’était tragique. 

Comment s’est effectué la bascule avec le cinéma ?

À 18 ans, je me suis rendue compte que je n’allais pas y arriver et je n’étais pas épanouie. J’aimais énormément lire. J’avais envie de faire des études alors j’ai fait une prépa hypokhâgne/khâgne à Paris et il y avait une spécialité théâtre. On allait voir trois pièces par semaine. Je n’avais jamais été au théâtre. Et ça n’a pas été calculé, mais à force de voir la scène, ça me manquait. Après la khâgne, j’ai passé la classe libre du cours Florent et je l’ai eu. J’en avais déjà fait un peu au conservatoire du 8e avec Marc Harnotte, professeur qui m’a fait confiance. Je n’avais jamais joué et il m’a prise, c’était terrible, mais il m’a préparé à la classe libre. Pendant la prépa, je payais mon loyer en faisant des silhouettes danse dans les films et j’avais dansé dans La Danseuse de Stéphanie Di Giusto. Le tournage avait duré plus de dix jours et on était sur le plateau. On tournait à Bruxelles dans un château et dans les costumes. J’avais une adrénaline folle. Je me souviens, j’avais deux jours par semaine et ça me faisait rêver. C’était un truc qui m’a marqué, mais je ne l’acceptais pas encore. C’est le vrai moment où j’ai senti que j’avais envie de faire ça. Après acteur, c’est bien beau, mais il faut savoir ce que c’est la réalité d’un plateau. Puis, j’ai tout de suite fait un film au Portugal, un huis clos avec Dennis Berry, qui est décédé en juin dernier. Il a été mon parrain et m’a soutenu. C’est lui qui m’a fait comprendre ce qu’était un plateau. Pendant deux mois, on n’était que deux filles au Portugal et j’ai adoré joué. C’était vraiment une sensation où tout se complète.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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