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Rencontre avec Melody’s Echo Chamber – « J’aime bien créer d’autres mondes, des mondes qui n’existent pas »

Rencontre Melody Prochet
Crédits Jennifer Gunther

L’artiste française psychédélique Melody Prochet, aka Melody’s Echo Chamber, nous présente son nouvel album puissant et aérien Emotional Eternal.

Nous le savons, Melody Prochet aime prendre son temps. Timide introvertie, l’artiste avait déjà mis 6 ans avant de sortir son deuxième album kaléidoscopique Bon Voyage, successeur de son premier opus au titre éponyme Melody’s Echo Chamber, produit par Kevin Parker de Tame Impala. Le succès trop rapide et le stress du deuxième album ont laissé la chanteuse à terre, mais c’était pour mieux se relever. Une fois Bon Voyage sorti, on sent un nouveau souffle et un besoin de s’exprimer créativement parlant, et cette fois-ci avec deux nouveaux comparses suédois : Reine Fiske, guitariste du groupe Dungen, et Frederik Swahn du groupe The Amazing. Rencontre faite en 2015, qui l’amènera à migrer vers la Suède et y composer son deuxième album.

Puis le besoin de silence et la naissance d’une petite fille nous laisseront dans l’attente. Quatre ans après Bon Voyage, Melody revient avec ce nouvel album prometteur à la pop psychédélique et céleste portée par sa voix enchanteresse. Emotional Eternal est un troisième album de la maturité, plus épuré, et ode à la maternité et à la vie. Pensant s’arrêter pour de bon, la naissance de sa fille provoqua en elle un besoin de s’exprimer et de créer.

Voilà ce qu’est ce dernier effort de Melody Prochet. Nous avons pu rencontrer, un évènement rare, la douce et timide artiste dans les locaux de Domino Records France à Paris, loin de sa campagne provençale et silencieuse. Portant un pull rouge avec imprimé dessus « 1970 », elle échangera avec nous sur le silence, le fait d’être mère, la nature et l’espace, le folklore et Serge Gainsbourg. Tout ça saupoudré de gentillesse et timidité.

Crédit Jennifer Gunther

Quatre ans d’attente pour un retour, je dois le dire, majestueux. Nous savons pourquoi nous avions dû attendre le deuxième album, mais ici pourquoi avoir pris 4 ans ? Que s’est-il passé, qu’est-ce qui a changé pendant cette période ?

Mélody Prochet  : Déjà, je ne savais même pas que ça faisait 4 ans. (rires) Après Bon Voyage, j’ai eu besoin de silence. Un bon silence pendant au moins 1 an et demi, 2 ans. Je n’écoutais plus de musique et n’en faisais plus. Il n’y avait que mon compagnon qui écoutait des ondes thêta et de la musique méditative. Des groupes d’ambient comme Sigur Ros m’ont pas mal influencée dans ce disque, notamment pour les archets sur la guitare électrique. Donc ça a commencé par ça. Ensuite je suis devenue mère et lors d’une séparation avec ma fille alors qu’elle était toute petite, elle devait avoir un an, ça a créé un débordement émotionnel qui a déclenché la spirale de la mécanique musicale.

La seule manière qui m’était familière de gérer ces moments c’était de créer. De transformer les émotions en créativité. Du coup, j’ai pris mon ordinateur et j’ai composé le morceau « Alma ». Ce titre c’est un petit poème à ma fille, à sa naissance. C’est un petit papillon. Le morceau m’a plu, donc je l’ai partagé avec mes proches, mes collaborateurs Reine et Swahn, mon label, créant cette envie d’un nouveau projet.

Pourquoi l’avoir appelé Emotional Eternal ?

Hmmm… C’est une bonne question. (rires) J’y réfléchis, je pense qu’il me faut encore un peu de distance. Il y a une thématique qui ressort, que j’ai pu un peu identifier. Ça évoque la circularité de la vie. Sur le disque on peut ressentir du premier au dernier morceau qu’il y a une boucle qui se boucle. Il y a du mouvement. Il y a ces drones de guitares et de violons qui m’évoquent l’éternel. C’est assez organique. C’est ce que j’en ressens pour l’instant. Après je pense que c’est plus facile d’avoir une vision de l’extérieur.

Sur cet album, tu as encore travaillé avec Reine Fiske (Dungen) et Frederik Swahn (The Amazing). Tu étais convaincue que c’était avec eux qu’il fallait refaire un album ?

Oui, la question ne s’est même pas posée. C’était un moment très joyeux de pouvoir les retrouver.

Dans les clips de «  Looking Backward » et «  Personnal Message », on ressent un message profond sur notre environnement, la nature qui nous entoure. Est-ce que c’est pour toi quelque chose que l’on doit prendre en compte et qu’il est important de partager ?

Oui, clairement.

D’où vient ce sentiment ?

Ma première expérience d’autre monde a été l’échappée belle en Australie. C’étaient des horizons dans une bulle très lumineuse de nature épique et de grands espaces qui m’ont inspirée et m’ont fait du bien. Ma deuxième expérience c’était la Suède, mais vraiment à l’opposé. C’est-à-dire en plein hiver, à -20°C, tout blanc mais tout aussi sublime. Le silence de ces paysages. Les déserts me plaisent beaucoup. Paysages que j’ai retrouvés pour Bon Voyage. Sur ce nouvel album, ce qui est assez étonnant, la Suède étant devenue une terre presque connue, j’ai trouvé l’inspiration encore là-bas.

Et entre temps j’ai trouvé un bout de terrain dans les Alpes de Haute-Provence. C’est un endroit entouré de champs de lavande et d’oliviers, avec une vue sur une chaîne de montagnes assez douce, avec beaucoup d’espace. C’est drôle car il y a encore cette notion de boucle : c’est très près de là où je suis née, Aix-en-Provence, même s’il y a une chaîne de montagne entre les deux. (rires) Il y a cette idée que c’est un autre monde, mais par contre un monde qui existe et où je me suis bien enracinée.

Mais alors, d’où vient ce besoin d’espace ?

Peut-être parce que je suis née à la campagne. Par exemple, Paris n’a jamais marché pour moi. J’ai toujours de la créativité mais je n’ai jamais réussi à la libérer de manière satisfaisante, parce qu’il ne faut pas gêner, aller en studio ça coûte cher, etc. Des trucs basiques mais qui n’ont pas fonctionné dans la capitale.

Si nous comprenons bien, le silence, les grands espaces de la campagne provençale et les grands espaces de Suède t’ont inspirée. Mais alors d’où viennent ces influences orientales des morceaux «  Pyramids In The Clouds » et «  Personnal Message » ?

Nous avons un amour commun pour Selda Bagcan et Özdemir Erdogan avec Reine, et j’en ai découvert pleins d’autres grâce à lui. C’est un grand collectionneur de musique. Il fait ça depuis un moment et en plus c’est multiculturel. Il a beaucoup de choses à me faire découvrir encore. On a partagé cet amour d’un certain folklore et c’est bizarre, car dans les folklores de cultures différentes, comme le mystère des voix bulgares, il y a des choses très simples, très humaines dans lesquelles on peut se retrouver. Il y a un lien donc ça me touche. Ça peut être turc, bulgare ou suédois, il y a cette chose qui relie les humains dans un moment particulier. C’est vibratoire. Puis il y a l’amour des instruments comme le saz ou encore le citra, qui est un instrument folklorique suédois très poétique, on dirait des notes de petites fées.

Tu parles d’instruments folkloriques. J’ai lu dans une interview avec Nick Allbrook (Pond), que tu rêvais de jouer de la harpe car tu es fan d’Alice Coltrane. Où en es-tu avec ce rêve ?

C’est toujours sur ma To Do List et ma Bucket List d’avoir une harpe. Il y a cette vidéo d’Alice Coltrane où elle fait des pluies de sons sublimes, il y a une aura comme ça autour d’elle. J’ai beaucoup aimé cette artiste. Elle était dans la musique de dévotion, je n’y suis pas encore mais ça m’interpelle et ça me plaît. Ça me fait penser à une chanteuse qui s’appelle Mikaela Davis, qui joue de la harpe et qui est dans le milieu de la musique folk aujourd’hui. Mais quand j’étais plus jeune, il y avait aussi Joanna Newsom qui faisait des trucs plus médiévaux, mais que j’adorais aussi avec sa voix un peu nasillarde.

Mais pourquoi la harpe ?

J’appelle ça des «  fairies  » car c’est enchanté comme instrument. Pour moi, ça résonne de manière un peu fantastique.

Parlons du retour du chant en français. Sur ton dernier album Bon Voyage tu chantes en suédois et en anglais. Tu as dit dans une interview que, parfois, les mélodies sonnaient mieux dans certaines langues que d’autres et que ça dépendait aussi de ce que tu voulais chanter.

Je suis revenue au français car c’est ma langue maternelle. Mais c’est vrai, c’est aussi une question de rythme. Selon la rythmique, s’il y a beaucoup de flow, beaucoup de choses à dire, je vais plus aller vers le français car je le maîtrise mieux. Après, quand ce sont des choses plus flottantes et avec moins de mots, l’anglais est plus naturel.

Est-ce qu’il y a aussi le fait que maintenant tu es mère, et que tu aimerais que ta fille te comprenne ?

Je n’y ai pas réfléchi. Après, la chanson « Alma The Voyage » est forcément dirigée vers elle, mais je n’ai pas pensé à l’écrire pour qu’elle l’écoute. Ça s’est fait comme ça.

Justement, « Alma The Voyage » est une ode à la maternité.

Et à la vie aussi.

Est-ce que le fait d’être mère a changé ta façon de composer ?

Probablement. Après ma période silencieuse – d’ailleurs je suis toujours plus ou moins en silence, enfin entre guillemets car il y a beaucoup de bruits chez moi (rires) – j’ai vraiment eu besoin d’épurer. Car Bon Voyage était dense. Donc j’y ai mis de l’air, de l’espace, des espaces plus silencieux dans la musique. C’est quelques chose que j’ai envie d’élaborer encore plus, car là ce n’est qu’une graine.

Dans « Alma The Voyage » et « The Hypnotist », on entend des influences de Gainsbourg comme l’album Melody Nelson ou la chanson « Initials BB ». Il est une grande influence pour toi ?

Il m’a accompagnée, je l’ai énormément écouté pendant une période, et pourtant je l’écoute moins en ce moment… mais il vient de temps en temps faire «  coucou  ». (rires) Il nous rend visite. « The Hypnotist » pourtant je l’ai piqué à Sébastien Tellier (rires), qui lui est allé le chercher chez Gainsbourg.

Je reviens sur les clips vidéo de « Looking Backward » et « Personnal Message ». Pourquoi avoir choisi une animation en 3D, sachant que pour ton dernier album tu avais opté pour du dessin animé ?

Déjà, j’aime bien m’aventurer dans des choses inconnues. J’avais adoré le dessin animé, mais je trouvais qu’il y avait une limite. Donc j’ai poussé un peu cette limite, car j’aimerais bien une image naturelle où on pourrait incruster des choses de synthèse. Ce qui existe bien sûr, mais il faut de l’argent. J’aime bien créer d’autres mondes, des mondes qui n’existent pas. C’est très fun de pouvoir créer des choses comme ça et d’en avoir les moyens. Je me suis beaucoup amusée et investie, d’ailleurs. Je ne voulais pas vraiment aller dans le jeu vidéo car je trouve ça oppressant, ces mondes en ligne mais créer un monde qui n’existe pas pour pouvoir y mettre de la poésie. Ce côté jeu vidéo est pas mal ressorti. Ça m’a surprise car ce n’est pas forcément ce que je voulais créer.

Dernière question : est-ce que tu penses remonter sur scène pour cet album ?

Je n’ai pas de réponse. (rires) Il y a un dialogue interne qui va et vient, ce n’est pas encore naturel. J’ai pas mal de stress à cette idée et je ne sais pas pourquoi. C’est compliqué pour moi de me mettre en lumière. J’ai encore besoin de temps.

Je te parle de ça car je t’avais vue à l’Olympia en première partie de Tame Impala, et ça avait été magnifique comme concert. Tu jouais encore avec Pablo Padovani de Moodoïd.

Mon dieu, c’était stressant ce concert. Je me rappelle du titre « Quand Vas-tu Rentrer », c’était dur. C’était les débuts mais j’avais un bon groupe, c’était sympa de jouer avec ces musiciens. Et pour Pablo, on avait produit le morceau « Only One Man ». C’était une de mes démos qui était passée à la trappe pendant tout ce pèlerinage à Paris. Un de mes rares morceaux parisiens. Ça ne m’intéressait pas de le produire et de l’aboutir. Mais Pablo, le titre était resté en tête. Il m’avait dit : « Je fais un projet avec des femmes et j’aimerais bien le produire. » Donc je lui ai dit : « Si tu veux. » (rires) Depuis, je les suis un peu de loin mais ils font tous leurs projets. C’est surtout aux États-Unis qu’on a eu des expériences très chouettes, surtout qu’au début ce n’était pas donné, je suis quand même très introvertie. J’ai commencé presque recroquevillée sur un fauteuil roulant (rires) et je me suis débloquée au fil du temps.

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