Mes écoutes est un livre de Dominique Petitgand dans lequel il décrit différentes expériences d’écoute. Il partage, dans des formes fragmentaires et courtes, ce qu’il perçoit du monde et du quotidien au travers de ses oreilles.
Dominique Petitgand est artiste. Il explore et déplace nos façons d’écouter en réalisant des pièces et des installations sonores qui invitent le spectateur à déambuler dans des espaces vides habillés par des sons.
Pour ceux parmi nos lecteurs qui ne connaîtraient pas votre travail, pourriez-vous expliquer votre pratique artistique ?
Je réalise depuis une trentaine d’années des œuvres exclusivement sonores. Elles sont, pour la plupart, composées de voix, de bruits et de silences. Je diffuse ces œuvres principalement sous la forme d’installation sonore mais aussi par disque, radio ou en salle face à un public.
Comment avez-vous conçu votre recueil Mes écoutes ?
En 2004, j’ai commencé à écrire et à accumuler des textes qui transcrivent des situations d’écoute. Chaque nouveau texte est autonome mais doit aussi trouver une place parmi les autres. L’ensemble se réorganise à chaque fois selon une logique de montage faite de continuités et d’ellipses. La mise en page était une évidence dès le début. Chaque page est constituée d’un titre, d’un paragraphe et d’un blanc. L’ensemble des titres forment un index qui est un texte en soi.
Ces textes se découpent selon trois temporalités différentes : les souvenirs d’écoute, les situations immédiates et les habitudes d’écoute. Les premiers temps de l’écriture ont été consacrés à la façon dont j’écoute la musique puis je me suis mis à écrire sur la manière dont j’écoute en général.
Y a-t-il plusieurs façons de prêter oreille au monde ?
Chaque texte reflète selon moi une manière d’écoute particulière. Aussi, mon écoute est souvent une façon de ne pas répondre aux injonctions. Par exemple, quand j’assiste à une conférence où quelqu’un lit un texte, 99 % des gens écoutent le texte, j’écoute tout autre chose. Dans certains textes, j’ai l’impression de m’excuser : je suis désolé mais j’écoute comme ça, je suis désolé mais je ne comprends rien. Et, si je ne comprends rien, c’est bien que je n’écoute pas comme il faudrait. Donc, j’essaie de décrire, avec des mots, ce qu’il se passe pour moi dans ces moments-là.
J’aime tout particulièrement le texte « Service minimum » où vous écrivez : « Lorsque je croise quelqu’un que je connais accompagné par quelqu’un que je ne connais pas, je prends instinctivement le parti de l’autre, la personne inconnue. »
J’ai l’impression que l’écoute est un véhicule pour parler d’autre chose. C’est manifeste dans les textes qui ont rapport avec la conversation et qui parlent de l’empathie, de l’équilibre ou de l’horizontalité avec les autres. J’y parle davantage des relations sociales que des sons. Comme l’injonction dans une conversation est d’écouter le sens de ce qui est en train de se dire, j’ai tendance à m’intéresser davantage à ce qui est échangé de façon non-verbale.
Enfant, par exemple, on est sommé par l’injonction permanente d’écouter : Écoute ! Le bonheur d’être adulte est de pouvoir enfin faire ce que l’on veut. On a la possibilité de ne plus se sentir coupable d’être dans les nuages. Il y a une grande liberté d’esprit à appréhender le monde comme on en a envie, notamment en développant nos propres manières d’écouter.
Dans votre texte « Pleins et creux », vous distinguez justement les « musiques pleines » et les « musiques creuses » qui demandent deux types d’écoutes différentes.
Quand la musique est pleine, elle sature l’environnement alors que quand elle est creuse, elle laisse la place aux autres choses qui sont présentes. L’environnement sans son n’existe pas. John Cage aurait créé sa pièce 4’33’’ après avoir fait l’expérience de la chambre anéchoïque. Il se serait rendu compte que le silence n’existait pas puisque même dans une chambre sourde, il entendait encore son propre corps. Aussi, toutes mes créations sonores sont des créations creusées. Mes installations consistent à mettre un son dans un espace mais aussi à laisser un creux et donc une place pour les autres sons environnants.
Le creux, la soustraction, l’absence et le manque sont des axes importants de votre création. Dans quelle mesure le texte est-il une mise en présence de l’absence de son ?
Cette absence de son est le point de départ du livre. La question était : Comment parler des sons en leur absence ? Les choses sont beaucoup plus riches que ce qu’on peut en dire. Pourtant quand quelque chose ou quelqu’un est absent, il est tout de même possible de l’évoquer et de toucher du doigt le sentiment de l’absence.
Pascal Quignard écrit que « les oreilles n’ont pas de paupière » pourtant vous écrivez au sujet de la possibilité de se boucher les oreilles. Est-ce une manière de couper le son ou bien une autre façon d’écouter ?
Il est possible d’écouter de tellement de façons différentes que je n’ai pas besoin de faire « on/off ». Qui plus est, quand on appuie sur le bouton « off », il se produit quelque chose qui est encore de l’écoute. Alors j’écris ces expériences comme quand je me bouche les oreilles, je découvre l’impression que je murmure dans une caverne. Il n’y a pas de bouton « off », hélas, ou peut-être quand on dort, et encore.
Vous rapportez des expériences singulières d’écoute qui sont pourtant des expériences que tout le monde peut éprouver. Aviez-vous conscience de dire quelque chose d’universel à partir du plus intime ?
Effectivement, j’espérais que mes textes mènent à cela. Le son n’est pas l’essentiel, il est un moyen d’expression, un véhicule, une technique que je pousse à fond mais qui n’est pas la finalité. L’écoute est plus large, elle ne se réduit pas au son. Elle intègre la situation d’écoute : le lieu, les autres et la perception du monde.
Il est possible d’aborder le son de deux manières : ce qu’il a de spécifique (il est volatile, immatériel) ou ce qu’il a en partage avec les autres sens. Dans mon travail, j’enregistre des voix qui portent l’idée de la présence. Pourtant, cela est très proche de la question du portrait ou du visage pour la vue.
À propos de la voix, vous décrivez souvent les modifications qu’elle peut subir selon les émotions vécues. Qu’est-ce qui vous intéresse dans le grain d’une voix ?
Dans les textes sur la voix, je décris la voix en tant qu’objet sonore. Je ne cherche pas à caractériser ou à identifier la voix de quelqu’un : elle a une voix grave ou aiguë. Je m’intéresse davantage aux états changeants et temporaires de la voix : la voix du matin, la voix du soir, la voix du téléphone, la voix enrouée.
Y a-t-il des textes clefs qui ont influencé votre approche du son ?
Il y en a plein, j’ai même établi une bibliographie des textes qui parlent de pratiques sonores mais je n’ai pas l’impression que cela nourrisse ma pratique. Un texte sur l’écoute qui reste important pour moi est « Un Roi à l’écoute » d’Italo Calvino dans le recueil Sous le soleil jaguar. C’est un livre qu’il n’a pas fini avant sa mort. Il est composé de trois chapitres au lieu de cinq pour chacun des cinq sens. Celui sur l’ouïe est incroyable. Il parle de tout : des paysages sonores, des paysages mentaux, de l’architecture, du corps, de l’écoute.
Vous dîtes dans « Playlist » que certaines chansons ont droit à « votre amour indéfectible » et qu’elles se trouvent avoir « quelque chose en commun ». Savez-vous qu’elle est ce je-ne-sais-quoi qui vous fait aimer un arrangement sonore ou est-ce un heureux mystère non-dévoilé ?
Depuis longtemps, j’écoute la musique en grand partie sur mon ordinateur. Le programme d’iTunes réalise régulièrement un classement des chansons que j’ai le plus écoutées. Un jour, j’ai fait écouter ces chansons à un ami qui m’a donné un début d’explication. Il m’a dit : « C’est souvent des accords de septième », comme s’il y avait une formule qui ferait que j’aime certains trucs mais j’ai du mal à entendre cette explication !
Qu’est-ce qu’on écoute pour se mettre dans vos oreilles ?
La playlist « I Go To Sleep » que j’ai composée uniquement à partir de chansons appelées « I Go To Sleep ». C’est l’idée de la variation d’une même chanson et de l’obsession sonore : la même chose qui n’est pas la même chose.