LITTÉRATURE

« Misogynie » – Jour tranquille à Dublin

Claire Keegan par Cartier-Bresson, avril 2016 © Wikicommons
Claire Keegan par Cartier-Bresson, avril 2016 © Wikicommons

Pour célébrer les vingt ans de la maison d’édition Sabine Wespieser, l’autrice Claire Keegan leur a offert Misogynie. Initialement publiée dans le New Yorker sous le titre So Late In The Day, la nouvelle se concentre autour d’une brève journée de la vie d’un homme amer.

Le ciel est bleu et Dublin vit calmement. Ce 29 juillet, Cathal est au travail. Ses collègues lui parlent avec précaution, un mélange de gentillesse et de pitié devine-t-on. En rentrant chez lui, il s’affale dans son canapé et regarde un documentaire sur le mariage de Diana Spencer et du Prince Charles. C’est par bribes que le personnage se souvient de Sabine, sa fiancée, absente. Et c’est avec douceur que nous comprenons ce qu’il aurait dû se passer ce 29 juillet et pourquoi cela n’arrivera jamais.

Claire Keegan est l’autrice de deux recueils de nouvelles et de deux novellas. Son œuvre la plus célèbre – inscrite au programme de l’Irish Leaving Certificate – est certainement Les Trois lumières (2011) qui raconte l’arrivée d’une petite fille en maison d’accueil. Misogynie est la troisième novella de l’autrice irlandaise, qui publie avec parcimonie depuis plus de vingt ans. Il s’agit d’un récit bref tout en suggestions et sous-entendus.

En bas sur les pelouses, des gens se faisaient bronzer et il y avait des enfants, et des parterres garnis de fleurs ; tant de vie continuant sans heurt, malgré l’imbroglio des conflits humains et la connaissance de la manière dont tout va finir.

Claire Keegan, Misogynie

Suggérer pour mieux décrire

Misogyne, Cathal ne semble pas l’être au premier abord. Il est amoureux de Sabine qu’il convainc de vivre avec lui puis de devenir sa femme. Mais très vite ses affaires deviennent un «  bazard  » qu’elle lui impose et le prix de la bague de fiançailles lui semble exorbitant. Et le joaillier d’insister : «  cet article n’est pas remboursable maintenant qu’il a été modifié sur mesure  ». C’est la pingrerie de Cathal ainsi que son rapport à l’argent et au pouvoir qui révèlent peu à peu sa misogynie. Le vocabulaire vient ensuite.

Quand Sabine lui reproche d’appeler à tout va les femmes des «  salopes  », il répond légèrement que c’est «  une façon de parler ici  », «  un truc culturel  ». La jeune femme franco-britannique le pousse dans ses contradictions et brise le masque de perfection de leur relation. Avec une grande minutie, Claire Keegan nous montre que le diable se cache dans les détails. La grimace du joaillier, l’agacement de Cathal, le brillant de la bague dans son écrin. L’accumulation de petits riens et de petits désaccords grandit au fur et à mesure du récit, inéluctablement.

Ce déséquilibre de vision au sein du couple rappelle pour certains points le roman Les Furies (2017) de Lauren Groff. Le livre présentait la relation d’un couple d’abord du point de vue heureux de Lotto puis de celui, totalement différent, de Mathilde, d’origine française elle aussi. En complète résonnance avec la novella de Claire Keegan, Lauren Groff confiait à l’Humanité en 2017 : «  Je n’ai pas voulu écrire un roman du mariage mais un livre sur les privilèges, et qui soit souterrain. Le mariage est l’extérieur de la bombe, mais c’est l’explosion qui est importante  ». Misogynie est le récit implacable d’une petite bombe impossible à désamorcer.

Claire Keegan, Misogynie, 2022, Sabine Wespiser éditeur, trad. Jacqueline Odin, 64 p., 8€

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