LITTÉRATURE

« Mes écoutes » – La rumeur du monde

© Editions B42

Glaneur de sons, Dominique Petitgand nous propose une expérimentation sensorielle. Son recueil, Mes écoutes, déclinent, au travers de courts textes, différentes façons d’écouter le monde. Tendons l’oreille !

L’artiste capte, par bribes, ce qu’il entend  : des phrases, des sons, des entrechoquements de bruits. Il chronique ce que ses oreilles perçoivent du ronronnement du monde. Chaque petit texte est une description faite à la première personne du singulier d’une sensation ou d’une situation particulière liées à l’écoute. Ces capsules de mots enregistrent la rumeur du monde, ce grand orchestre anarchique.

En ouvrant ce livre, le lecteur est arrêté par sa structure et sa composition. L’écriture est fragmentaire. Chaque page laisse place à un court texte dont le titre figure en haut de page. Les titres, d’un ou deux mots, peuvent être eux même lus comme un texte indépendant formant une sorte de cadavre exquis. 

Les sons qui composent la rumeur. Les uns, permanents, qui trouvent leur place en étage et s’additionnent couche par couche (…) Les autres, ponctuels, qui m’apparaissent en épingle, puis s’effacent. 

Mes écoutes de Dominique Petitgand

Sonothèque intime

Qu’est-ce qu’écouter  ? Telle est la question centrale de l’œuvre de Dominique Petitgand. Au quotidien, nous percevons une infinité de sons que les mots cherchent à dire dans leur pluralité. Écouter demande une attention à la tonalité, au rythme et à la différence des sons. 

Dans ses textes, l’artiste tresse les voix, les bruits et les chants. Il les fait se percuter et cela crée des images mentales dans l’esprit de celui ou celle qui écoute. Dominique Petitgand dépeint, par exemple, la voix humaine et ses diverses tessitures. La voix converse, elle chante, elle harangue ou chuchote. Elle se métamorphose aussi. L’auteur décrit alors la voix porteuse d’un accent, la voix grave causée par un rhume, la «  voix voilée (…) qui ne sort qu’à moitié parce qu’elle retient en elle ce qui chez d’autres percute  » ou encore la «  voix blanche  »  :

Ce qui se joue en moi me bouleverse, me ronge ou m’inquiète, n’apparaît pas dans les mots que j’emploie, utilise mon corps et blanchit ma voix. Après l’émotion extrême, pendant la gêne immense, je pourrais choisir la panique, je choisis la voix blanche.

Mes écoutes de Dominique Petitgand

Il note aussi les bruits du corps comme l’éternuement, l’étrangeté qu’il y a à découvrir pour la première fois une voix inconnue. Enfin, il évoque tous les autres bruits de notre vie tels les sirènes, les sons de train, d’aspirateur, de sonneries de téléphone ou de grésillements. Il consacre un de ses textes au chant quotidien du ticket de métro que l’on poinçonne  : «  Chaque pass magnétique qui s’introduit dans la fente produit un son prolongé. Sésame aigu qui, ruban sonore continu, ondulant comme une scie musicale  ».

Récurrence sonore

Dans une langue limpide, Dominique Petitgand aborde différents motifs acoustiques. Il déploie tout un champ lexical du son  : décibels, mur du son, stéréo, basse et les phrases se chargent d’évoquer les bruits des transports en commun, de la radio ou ceux du voisinage  :

La moto du voisin tient tout l’immeuble sous son autorité vrombissante.

Mes écoutes de Dominique Petitgand

Il fait aussi une place de choix au bruit du temps. La trotteuse trottine dans le cadran («  j’ai dû déplacer le réveil (…) pour ne plus entendre l’aiguille avancer chaque seconde  »). L’horloge parlante annonce les heures qui défilent. L’artiste compte la durée des silences en suivant le rythme de ses inspirations et expirations.

Il partage également son expérience intime d’écoute d’albums de musique. Il distingue notamment l’écoute du vinyle qui, contrairement au CD, ne peut se faire en boucle car elle demande d’anticiper le changement de face sur le tourne-disque. Aussi, il dit la «  fatigue  » du matériau qui subit l’usure au fil des écoutes et modifie peu à peu le son enregistré. C’est un nuancier d’expériences d’écoutes et de fréquences perçues auxquelles Dominique Petitgand nous rend sensible. 

Prêter l’oreille

L’intérêt de son écoute singulière ne se cantonne donc absolument pas à l’unique compréhension de la signification des sons. Il cherche une écoute plus horizontale qui ne discrimine pas les sons entre eux. Pour cela, Dominique Petitgand prend en compte la réception et la diffusion du son c’est-à-dire ce qui le rend énigmatique. D’où vient-il  ? Comment me parvient-il  ? Qu’est-ce donc là ce que j’entends  ? Notre écoute diffère selon l’espace pris par le son et selon l’effet qu’il produit sur nos corps. Il décrit par exemple la caractéristique des basses qui «  se font seulement sentir et non entendre  ».

L’auteur s’arrête également sur les défaillances ou les accros d’une écoute normative. Il aborde le phénomène des acouphènes qui transforme ce qui est perçu, les malentendus, ces mots pris pour d’autres, ou les moments d’absence dans une conversation qui modifient le sens de ce qui est compris. Le décalage de nos écoutes, voilà peut-être ce que réussit à nous proposer Dominique Petitgand en nous montrant la possibilité d’explorer de nouvelles façons d’écouter.  Une d’entre elles serait la découverte de la possibilité d’emporter un son partout en soi et la capacité qu’il y a le réactiver à volonté  :

Garder un son en soi, le trimballer partout où l’on va, un écho qui ne s’atténue pas.

Mes écoutes de Dominique Petitgand

Mes écoutes de Dominique Petitgand, Éditions B42, 12euros. 

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