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« Kliniken » – Visite au purgatoire

Kliniken
Kliniken © Simon Gosselin

Inspiré par son passage en hôpital psychiatrique, Lars Norén avait imaginé une pièce sur ce lieu singulier. Julie Duclos l’actualise avec talent et questionne, en creux, la marge dans laquelle sont relégués ceux que l’on considère fous.

Nous sommes dans un hall, sans comprendre tout de suite lequel. Les couleurs sont cliniques, un blanc d’hôpital, quelques chaises, des tables, un canapé sur lequel certains viendront s’échouer. Sur l’avant, un coin fumeur. Au fond, une fenêtre sur cour, et au milieu de la cour, un arbre, tantôt illuminé par les rayons du soleil tantôt secoué par la pluie. Ici, c’est l’hôpital psychiatrique tel que l’a pensé et écrit le dramaturge suédois en 1993, après avoir été lui-même interné.

Chacun à sa place – treize personnages en tout – dans un petit coin du lieu. Un jeune homme regarde avec un air hagard la télévision, juchée dans le coin supérieur de la scène. On entend le bruit de fond d’un reportage sur le burkini. Rires dans la salle. Au milieu de la pièce, un autre homme, plutôt jeune, blue jean et tee-shirt blanc, façon surfeur des années 80. Il feuillette ostensiblement Le Point qui titre  : «  Mélenchon, l’autre Le Pen  » et donne son avis sur le monde tel qu’il va, sur la politique. Une jeune fille passe, il essaie de lui faire prendre ses médicaments. Pas de chance, elle est anorexique et n’avalera rien. Il la force.

À la folie

Julie Duclos met en scène une drôle de valse des personnages. Tour à tour, chacun s’assoit, entame un dialogue qui révèle de manière plus ou moins subtile les raisons de sa présence dans le service de psychiatrie. À chacun son pathos, et ses conséquences sur les corps. Alexandra Gentil, teint blafard, raconte en creux l’inceste qu’elle a subi et la volonté de mourir qui l’habite. Étienne Toquet, brillant dans son rôle de jeune néo-nazi à la limite du syndrôme de la Tourette, insulte toutes les femmes qu’il croise, sa mère y compris. Quand celle-ci tourne le dos pour s’en aller, il s’étrangle et lui hurle de ne pas le laisser seul. Chacun raconte son récit avec une forme de flegme, qui jette une lumière froide, clinique – pas romantique ni pathologique – sur les douleurs intérieures des résidents.

Rare exception peut-être, le personnage interprété par Manon Kneusé, qui enchaîne avec drôlerie les monologues de celle qui ne supporte pas le silence. Faisant ainsi écho, discrètement, au silence des autres. Du personnage de Mohammed, incarné par Mithkal Alzghaïr, dont les proches sont tous morts à Alep et dont le visa pour rester en France n’a pas été renouvelé.

Le décalage des personnages fait sourire, rire parfois. À d’autres moments, le spectateur se retrouve englué dans la longueur du spectacle – deux heures vingt – qui enchaîne les récits sans arriver à destination. Malgré quelques longueurs, Julie Duclos atteint son objectif. Nous montrer «  les fous  », mais surtout, nous montrer à quel point ils nous ressemblent.

Kliniken de Lars Norén, mis en scène par Julie Duclos à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, jusqu’au 26 mai.

Journaliste

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