Librement inspiré d’une expédition spéléologique en Calabre, le dernier long-métrage de Michelangelo Frammartino explore les entrailles de la Terre dans un style austère et spontané. Prix spécial du jury de la Mostra de Venise, Il Buco est une véritable expérience sensorielle.
Italie, 1961. Sur les premiers postes de télévision, les habitants observent avec fierté un reportage sur l’inauguration de la plus grande tour du pays. Dans le massif reculé du Pollino, ce n’est pas une ascension mais une plongée sous terre qui se joue. Un groupe de spéléologues piémontais décide de se rendre dans la grotte la plus profonde du pays : l’abîme de Bifurto. Ils ne le savent pas de suite, mais à près de 700 m de profondeur, ils découvriront l’une des cavités terrestres les plus profondes au monde pour l’époque.
Dans Il Buco, littéralement le trou, Michelangelo Frammartino reprend cette histoire vraie dans un long-métrage d’une grande simplicité. Il y ajoute toutefois des liens, des signes, avec un vieux berger qui, du haut de sa montagne, noue une relation non-verbale mais bien réelle avec les spéléologues. Cinéaste de la décroissance, Frammartino renvoie le spectateur dans une atmosphère primitive et interroge son rapport au progrès.
Une ode à la nature
Après Il Dono (2003), et Le Quattro Volte (2010), Michelangelo Frammartino refait de la Calabre montagnarde son terrain de jeu, et de la ruralité son univers. Dans Il Buco, il explore de façon minutieuse et apaisante le temps et l’espace, à la manière d’un film contemplatif. Les plaines et montagnes, de jour comme de nuit, mais aussi les souterrains, obscurs et sinueux, sont superbement capturés. Ces images ont, à juste titre, permis au chef-opérateur Renato Berta, d’obtenir le prix de la meilleure photographie aux festival des Arcs 2021.
Il Buco n’est pas un film muet mais bel et bien silencieux. En dehors des bruits inhérents à l’activité humaine, le son se fait rare. Parfois les cloches de vaches Podolica, emblématiques du Sud de l’Italie, se font entendre dans un calme absolu. Parfois encore, le cri du vieux berger résonne dans la vallée. Les sous-titres sont inexistants. Mais il n’y a pas besoin de comprendre les échanges : ils se devinent.
Sans jamais qu’ils ne se parlent, Frammartino parvient à tisser une relation implicite entre le groupe de jeunes spéléologues et le vieux berger. Tous ont un lien fort avec la nature. Le berger connaît le lieu comme sa poche, tandis que les chercheurs ont pour objectif de le connaître et de le documenter scientifiquement. Il réside aussi une part d’inconnu pour les deux protagonistes. Alors que l’ermite observe avec attention et méconnaissance les spéléologues, ces derniers s’aventurent pour un saut – ou une descente en rappel – vers l’inconnu. Enfin, au fur et à mesure que le groupe descend dans la cavité, où la vie se fait rare, le corps du vieillard s’essouffle. Un écho silencieux et invisible.
Frôler le documentaire
Il Buco emprunte certaines caractéristiques au documentaire et de temps en temps, le côté fictionnel se dérobe. Les scientifiques sont tout d’abord interprétés par de réels spéléologues. La descente est ensuite exécutée in situ. Le réalisateur emmène alors sa caméra sous terre, et le directeur de la photographie reste à la surface, relié par un kilomètre de fibre optique. Alors qu’à la surface, le cadre choisi est très large, voire panoramique, sous terre, il est au contraire très réduit. Et donc, conforme au champ de vision d’un être humain. Dans une obscurité quasi totale, on ne distingue qu’un mince couloir rougeâtre.
Ainsi, la plongée dans le gouffre donne au spectateur l’adrénaline de la découverte. C’est comme s’il se mettait dans la peau du spéléologue s’immisçant dans d’étroites cavités. Ce sentiment est renforcé par les bruits de pas ou de corps entiers se glissant dans le gouffre, mis sur le même plan que des dialogues éventuels.
S’il n’échappe pas à quelques longueurs, le film séduit par son caractère bucolique et méditatif. La mécanique n’est peut-être pas réglée comme du papier à musique. Plus simplement, le spectateur assiste à un épisode de vie, tel un “tableau animé” dans un musée. Et c’est aussi ça, le cinéma.