Après Autoportrait de Paris avec chat (2018) et L’exil vaut le voyage (2020), très bien accueillis par la critique, Dany Laferrière signe son cinquième roman dessiné, Dans la splendeur de la nuit (2022), dans lequel il revient sur les origines de son inspiration poétique.
Nous suivons dans ces errances nocturnes un très jeune homme passionné par la lecture d’un poète chinois, Li Po, qu’il cite et dessine régulièrement, comme un phare dans une nuit de souvenirs. Le livre est séparé en cinq sections ayant chacune un thème graphique légèrement différent des autres. Par exemple, la deuxième section « Lettre à un jeune poète mort », alterne entre des dessins prenant une page entière et des pages réservées à la retranscription d’une lettre. Ainsi, les dessins n’entretiennent pas toujours de lien direct avec le texte, la couleur verte est très présente, la graphie est plus épaisse, les dessins sont plus denses.
Au contraire, la dernière section, très courte, « À la croisée des chemins », nous propose quelque chose de plus aéré : le texte joue avec les dessins qui donnent une impression de mouvement très marquée et jouent sur un contraste entre noir et vert. Chaque section à son identité propre, mais le tout reste très harmonieux et le récit se déroule de manière très fluide et évidente.
Et ces papillons à peine sortis du cocon qui faisaient un mur jaune qu’il me fallait franchir sur la bicyclette rouge en roulant le long de la mer turquoise. L’après-midi derrière moi. La nuit au bout de la route. L’odeur des Ilangs-ilangs dans la nuit Port-au-princienne. Mes yeux avides de couleurs et mon cœur de sensations. Les sentiments viendront plus tard au moment de découvrir que mon cœur contenait des abysses vertigineux et des montagnes bleues.
Dany Laferrière, Dans la splendeur de la nuit
Bercé par la nuit
L’académicien nous amène encore dans ses souvenirs d’enfance, cette fois-ci pour nous parler de son rapport à la nuit. Le poète aime à se laisser surprendre par la nuit qui joue avec sa perception, fait surgir des doutes, ouvre le champ des possibles, transforme les corps et la pensée. Les dessins sont doux, souvent enfantins, la plupart du temps illustratifs mais quelque fois abstraits. Le style est simple, sobre, sensuel parfois ; certaines phrases sont assez factuelles, d’autres font penser à des aphorismes … Mais ne manque-t-il pas quelque chose ?
Après L’énigme du retour, bouleversant de poésie et de vérité, après le mystérieux et perturbant Pays sans chapeau ou le détonnant Comment faire l’amour à un nègre sans se fatiguer ?, que faire de ce roman dessiné, somme toute très agréable à lire ? Rien de particulier ne semble y accrocher la pensée d’un lecteur qui n’a plus qu’à se laisser bercer par le flot de la nuit. C’est un peu comme si les souvenirs nous étaient livrés tels quels, dans un enchaînement apaisant mais qui peine à provoquer l’émotion ou à susciter la réflexion. Les grands auteurs ne sont certes pas toujours forcés de nous offrir quelque chose de renversant. Mais on reste ici sur sa faim.
Dany Laferrière, Dans la splendeur de la nuit, éditions Points inédit, 2022, 144p, 10.90€