SÉLECTION OFFICIELLE – CANNES CLASSICS – Le chef d’œuvre de Gene Kelly et Stanley Donen fête ses 70 ans sur les écrans du Festival avec une projection unique. Une version restaurée absolument magnifique, faisant revivre la magie de ce film qui n’en finit pas d’être culte.
C’est avec un plaisir débordant que le public a (re)découvert Singin’ in the rain vendredi. Depuis sa sortie en 1952, la comédie musicale et ses mélodies entêtantes n’ont pas quitté les esprits des amoureux du cinéma. À raison. Entre des dialogues bourrés de répliques cultes et hilarantes, et des scènes inscrites au patrimoine du film, Chantons sous la pluie (en français) mérite amplement son statut de film culte. On y retrouve Don Lockwood, acteur de film muet qui voit sa vie chamboulée par l’arrivée du film parlant, et sa rencontre avec la belle Kathy Selden, jeune danseuse peu impressionnée par son égo de star. Sous des allures de film léger et pétillant, Gene Kelly et Stanley Donen livrent un portrait à la fois amoureux et cynique du Hollywood des années 50. Le tableau encore furieusement actuel d’une industrie fidèle à elle même.
Quand le cinéma aime le cinéma
Cascadeurs, costumiers, doubleurs, dialect coaches, musiciens, producteurs, distributeurs, ingés son… Dans Singin’ in the rain, tous les métiers du cinéma sont là, mis à l’honneur, souvent pour la toute première fois. En prenant pour décor l’industrie qui a abrité sa carrière, Gene Kelly s’autorise quelques révélations. Quitte à passer derrière le rideau pour dévoiler la vérité sur la construction d’un film.
Dans cette scène mythique où Lockwood construit un décor entier pour se livrer à Kathy au rythme de You Were Meant For Me, délicate balade amoureuse, Gene Kelly lève le voile sur l’envers du décor. Pas à pas, il laisse le spectateur découvrir les astuces qui se cachent derrière la caméra. Des spots colorés pour créer un coucher de soleil factice. Un ventilateur géant pour feindre une douce brise d’été. Une simple échelle, pour faire de Cathy une véritable Juliette à son balcon. En quelques “clics”, l’acteur fait apparaître tous les éléments nécessaires à la création d’une image pour le grand écran. Cette scène, summum du romantisme des années 50, a été improvisée sur le tournage, inspirée par les plateaux vides entourant l’équipe du film sur le Warners lot.
Ce qui paraît être un sacrilège, brisant l’illusion de la fiction, est en fait la révélation même de la magie du cinéma. En en dévoilant les mécanismes les plus mystérieux de la mise en scène et de la photographie, Gene Kelly donne à son public une nouvelle raison de s’émerveiller dans les salles obscures. Ici, il parle aux amoureux fous du cinéma, et à tous ceux qui sauront admirer le travail extrême que demande la création d’une image de film. Époustouflant.
Sur le devant de la scène, on retrouve bien sûr un couple de cinéma mythique : Debbie Reynolds et Gene Kelly. Mais les réalisateurs construisent le récit de sorte à montrer qu’un acteur, seul, ne fait pas un film. Gene Kelly se moque d’ailleurs de lui même à travers le personnage de Lockwood, accusé par la jolie Kathy de n’être qu’une marionnette, un pantin sans fond qui se contente de faire des grimaces. La star américaine, qui a brillé sous les feux des projecteurs pendant plus de cinquante ans, dresse ici le portrait de ce qu’est réellement le cinéma : des dizaines de métiers, des centaines d’artistes et de techniciens, qui se mobilisent autour d’une même volonté de faire vivre une histoire, et de porter un film jusqu’à l’écran.
C’est donc une magnifique déclaration d’amour que fait Gene Kelly à une industrie entière, rappelant encore une fois que tous les métiers du cinéma sont nécessaires. Nul ne peut travailler seul, le cinéma est une affaire de communauté. Et c’est bien là que réside toute sa beauté, toute sa magie. Un message qui raisonne particulièrement fort à l’heure où les Oscars sont vivement critiqués pour leur hiérarchisation arbitraire des métiers récompensés par l’Académie.
Quand le cinéma rit du cinéma
Si la lettre d’amour qui se dresse à l’écran est bouleversante de beauté et de modernité, n’oublions pas que nous sommes ici dans une comédie. Musicale, certes, mais comédie tout de même. C’est donc sans surprise que ces mêmes métiers que le réalisateur célèbre, sont aussitôt tournés en dérision, révélant les manies et les paradoxes de chacun. Du réalisateur névrosé au producteur indécis, de l’actrice mégalomane aux fans hystériques, Gene Kelly se paye le monde du cinéma tout entier, rappelant très justement que, aussi magnifique soit-il, le cinéma reste un jeu, un beau mensonge qu’il ne faut pas prendre trop au sérieux. Les répliques, pour la plupart cultes, s’enchaînent à l’écran, déclenchant rires et applaudissements dans une salle ravie de se prêter au jeu.
« Gotta dance ! », la patte Gene Kelly
Singin’ in the rain est un chef d’œuvre de facto au vu d’un scénario ingénieux et moderne, mais il est un élément qui l’élève au firmament : la danse. Réputé dès ses débuts pour sa dextérité et son élégance, Gene Kelly a fait de la danse sa marque de fabrique, comme Fred Astaire avant lui. Mais l’acteur d’Un Américain à Paris a su pousser son art plus loin que son aîné. Avec des chorégraphies plus modernes, portées par des jazz endiablés et des costumes très provocants pour l’époque, il propose des épisodes dansés indissociables de son histoire et de ses personnages. 70 ans plus tard, la chorégraphie n’a pas pris une ride (peut-être une ou deux pour ce qui est des claquettes). Mêlant comédie, romantisme et prouesse technique, Gene Kelly s’impose comme un chorégraphe de légende. Singin’ in the rain apparaît comme le testament de ce danseur hors pair, qui a passé sa carrière entière à se jouer des censeurs et des conventions.
Réglées au millimètre près, les scènes de danse de Singin’ in the rain sont entrées dans la légende pour l’effort considérable qu’elles ont demandé à l’équipe du film, envoyant Donald O’Connor jusque sur un lit d’hôpital après sa remarquable performance pour la chanson Make ‘Em Laugh. L’explosion colorée de son talent ne laisse au spectateur qu’un seul regret : que l’acteur n’ait reçu qu’une seule récompense pour ce rôle magnifiquement interprété (Golden Globe du Meilleur Acteur dans une Comédie).
Des prouesses techniques derrière la caméra
Au delà de la modernité des mœurs et des chorégraphies, la version restaurée de Singin’ in the rain révèle aussi la modernité de sa mise en scène. Véritable prouesse cinématographique, le film enchaîne des scènes toutes plus mémorables les unes que les autres, révélant une scénographie d’une précision implacable. Les jeux de lumières, à couper le souffle, sont au service de la mise en scène, pour donner vie à des décors quasi irréalisables. On pense notamment à la fameuse scène où Don Lockwood fredonne « I’m singin’ in the rain », où la lumière est utilisée pour décupler l’effet de la pluie à l’écran.
Les scènes de danse sont filmées au plus près des danseurs. La caméra les suit, de pièce en pièce, de décor en décor, et prend part à la danse pour l’inscrire toujours plus profondément sur la pellicule. Dans les années 50, où la technologie rend ce type de procédés encore rare, et où la danse est filmée sur des plateaux avec des caméras quasiment fixes, c’est un beau pari que les deux réalisateurs parviennent à relever.
Avec Singin’ in the rain, Gene Kelly et Stanley Donen signent un très grand film, qui en dit autant sur leur amour du cinéma que sur leur immense talent. Entouré de Debbie Reynolds et Donald O’Connor, deux acteurs hors pairs, l’acteur américain propose une véritable explosion de charme et de talent. Un classique à redécouvrir sans modération.