CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2022 – « Sciuscià » : Renaissance d’un joyau italien

Sciuscià © Fondazione Cineteca di Bologna
Sciuscià © Fondazione Cineteca di Bologna

SÉLECTION OFFICIELLE – CANNES CLASSICS –  Créée en 2004 à l’initiative de Thierry Frémaux, la catégorie Cannes Classics déroule le tapis rouge à des chefs-d’œuvre du cinéma en version restaurée. Vendredi, c’était le fabuleux Sciuscià (Shoeshine en anglais) qui reprenait vie sur les écrans du Festival. Une merveille.

Le cinéma italien d’après-guerre est un cinéma hanté par les démons du fascisme. Après l’âge d’or des comédies italiennes, la désillusion et la misère peignent sur les écrans le portrait d’une société déclinante. Si les réalisateurs n’abandonnent pas la construction très travaillée de l’image qui a fait la renommée du cinéma italien, ils sont devenus les témoins d’un désespoir trop grand pour être ignoré, et se tournent naturellement vers le néo-réalisme, où des acteurs non professionnels incarnent cette Italie en reconstruction.

Dans Sciuscià, Pascale et Giuseppe sont comme des frères. Fils de la rue, ils gagnent leurs vies en cirant les bottes des soldats américains stationnés à Rome. Parfois, ils revendent au marché noir des produits de contrebande que leur donne le frère de Giuseppe, un petit voyou plein d’ambition.

À la suite d’une combine qui tourne mal, les deux garçons sont injustement accusés, arrêtés, et incarcérés dans une prison pour enfants, où règnent violence et désolation. Leur passage dans cette prison aura des conséquences tragiques, les personnages comme broyés par un monde qui n’a aucune pitié pour les innocents.

Si Sciuscià est un petit bijou d’esthétique à l’italienne, le film de Vittorio de Sica est avant tout un réquisitoire politique, contre un système qui laisse des milliers d’enfants livrés à eux même, victimes innocentes des ravages de la Seconde Guerre mondiale sur la société italienne. L’image du totalitarisme ne quitte pas le réalisateur, qui voit dans le directeur de la prison la personnification de l’idéologie fasciste. La question de la morale est omniprésente, comme un avertissement. Et pourtant, le génial metteur en scène parvient à signer un film souvent très drôle, triste contraste avec le destin tragique de Pascale et Giuseppe.

Le film est construit comme une tragédie shakespearienne : les deux héros innocents, à la suite d’une immense injustice, commencent une longue chute inéluctable qui ne se soldera que par le sang. Élevés en martyr, les personnages de Vittoria de Sica deviennent les visages d’une Italie qui souffre, et qui, malgré la fin de la guerre, est encore loin de sa sortie de l’enfer. Porté par un groupe de jeunes adolescents bourrés de talent, qui manient avec une aisance incroyable cette dualité entre tragédie et comédie, Sciuscià est bouleversant d’émotion et de sincérité.

Une magnifique restauration permet aujourd’hui de faire revivre ce véritable chef d’œuvre en 4K dans les salles du Palais des Festivals. La présentation de Sciuscià ce vendredi, moment de grâce en soi, a été encore enrichie par la présence d’un invité très spécial lors de la projection. Un Oscar. Mais pas n’importe lequel. L’équipe derrière la restauration du film a présenté au public l’Oscar d’honneur attribué à Sciuscià en 1948. Une récompense qui a bouleversé l’Histoire du cinéma, puisqu’il s’agissait de la première statuette remise à un film non anglophone.

Quelques années plus tard, cette récompense historique poussera l’Académie à créer une nouvelle catégorie pendant la cérémonie : celle du Meilleur Film Étranger. Ce moment de magie hors du temps rejoint la liste de grands moments de cinéma, dont seul le Festival de Cannes a le secret.

`

You may also like

More in CINÉMA