MUSIQUE

« A Light for Attracting Attention » – The Smile sort de l’ombre

The Smile (Jonny Greenwood, Thom Yorke et Tom Skinner) par Alex Lake..
The Smile (Jonny Greenwood, Thom Yorke et Tom Skinner) par Alex Lake.

En marge de Radiohead, The Smile dévoile un premier album flamboyant en forme de manifeste d’une ère nouvelle, tant sociétale que musicale.

Tout juste une semaine après l’œil grand ouvert d’Arcade Fire sur leur album WE, c’est au tour d’une autre production de Nigel Godrich de se dévoiler, et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit du sourire caché, narquois et presque cynique de The Smile. Avant d’apparaître sur les ondes d’une radio sans tête, le supergroupe formé par Thom Yorke (Radiohead, Atoms for Peace), Jonny Greenwood (Radiohead, Junun) et Tom Skinner (Sons of Kemet, Hello Skinny) s’est révélé au fil d’apparitions aussi rares que marquantes, à la fois confidentielles (trois concerts publics à jauges très restreintes) et médiatisées (diffusions des concerts en livestream via des plateformes dédiées ou de certaines répétitions via Instagram). Le résultat ? Un album composé de 13 titres aussi édifiants qu’attendus, qui appellent à l’unité et à la lucidité malgré le chaos, la paranoïa et l’anxiété ambiante, fruits d’une époque aussi complexe que meurtrie.

Le sourire jusqu’aux oreilles

22 mai 2021. Alors que le légendaire festival britannique de Glastonbury s’apprête à lancer sa première édition en ligne (à cause de vous-savez-quoi), une annonce prend tout le monde de court : Thom Yorke et Jonny Greenwood, éminents membres de Radiohead, alliés au batteur de Sons of Kemet Tom Skinner, allaient présenter le soir même les compositions originales d’un nouveau projet commun sobrement nommé The Smile.

Inspiré par le titre d’un poème de Ted Hughes – poème qui trouvera bientôt une résonance avec des vers de William Blake récités par Cillian Murphy à l’occasion des trois concerts londoniens de janvier 2022 – le groupe se présente avec la volonté affichée de rompre, du moins dans sa forme, avec l’étiquette Radiohead qui colle à la peau de Yorke et Greenwood malgré de multiples et mémorables échappées solitaires.

Synonyme d’un rock sophistiqué et exigeant devenue peu à peu aussi mutant qu’inclassable, l’évocation du nom du groupe d’Oxford suffit, à chaque nouveau virage, à captiver l’attention du microcosme musical . Une attention particulière dont il est justement question dans le titre, cette « lumière pour attirer l’attention » qui n’est autre que le premier album du trio qui sort aujourd’hui.

Une lumière qui brille donc depuis ce soir du 22 mai 2021 où le groupe délivrera, dans un livestream d’anthologie, huit morceaux inédits – si l’on comptabilise la nouvelle version de Skrting On The Surface – dont sept qui apparaissent aujourd’hui dans l’album.

Un pied dans l’inconnu mais la tête sur les épaules

Alors que l’on découvre ce soir-là une fougue et une énergie (d)étonnante, en apparences assez éloignées des frasques plus introspectives des derniers travaux de Radiohead, force est de constater que nous sommes tout de même en territoire connu, guidée par la voix lyrique et hantée de Thom Yorke, ses textes tour à tour abrasifs, mélancoliques et tourmentés, les gimmicks et riffs de guitare entêtants de Jonny Greenwood et la frappe chirurgicale, profonde et dynamique, de Tom Skinner.

Quelques longs mois et courtes sessions de répétitions filmées et retransmises en direct sur Instagram plus tard, la rumeur de plus en plus persistante d’un disque arrivant courant 2022 se propage sur les internet. Pourtant tous semblent occupés ailleurs : Thom Yorke est programmé en acoustique et en solo dans un festival suisse, Jonny Greenwood récolte les éloges pour son travail sur The Power of The Dog de Jane Campion et Spencer de Pablo Larraín (rappelons qu’il a, depuis plus de vingt ans, composé une douzaine de bandes originales de films) et Tom Skinner annonce une grande tournée avec Sons of Kemet pour le printemps et l’été 2022.

Un casse-tête d’organisation que l’on imagine en interne, mais qui finira pourtant par déboucher sur deux belles annonces : une série de trois concerts à Londres fin janvier 2022 et surtout une tournée européenne d’une trentaine de dates prenant place de mai à juillet dans des lieux plutôt originaux et intimistes. Les trois concerts londoniens, retransmis en livestream pour les nombreux curieux n’ayant pu se procurer des places dans la salle, permettront au trio de dévoiler 14 compositions originales hautes en couleurs, servie par une scénographie ingénieuse et une réalisation captivante. Dès lors, la course vers la sortie du disque commence.

2 + 2 = 5

On se souvient de la tracklist de A Moon Shaped Pool, le neuvième et dernier opus de Radiohead paru il y a tout juste six ans, bâtie selon un ordre alphabétique aussi hasardeux que générateur d’un parfait équilibre narratif, logique et pertinent. Une cohérence moins évidente ici, alors que le groupe annonçait ironiquement début janvier étudier les quelques 6 227 020 800 ordres possibles, maligne façon d’annoncer par un jeu mathématique un ensemble de 13 titres, ni plus ni moins.

Évoluant dans un ordre étrange, entre expérimentations structurelles, touches orchestrales, saillies cuivrées, envoûtement électronique, percées électriques et folksong planantes, The Smile se façonne un univers qui ne ressemble qu’à lui : éparse, éclectique et édifiant tout en bénéficiant d’une ligne directrice claire et unique qui s’impose d’elle-même, de façon presque insidieuse, au fil des écoutes et des différentes couches sonores savamment parsemées et appliquées par le fidèle Nigel Godrich. Ce sont au final pas moins de six singles qui sont disséminés entre janvier et mai 2022, agrémentés d’images plus ou moins abstraites, de jeux concours éthiques et d’énigmes en tout genre.

Et la lumière fut

Dès les premières secondes, The Same réussit à créer l’exploit de nous faire entrer dans une densité sonore rare, où la maîtrise technique des différentes couches et du mixe n’est là que pour servir le cœur d’une composition déchirante, solennelle et envoûtante. Construite à partir de plusieurs séquences modulaires aux métriques implacables et d’harmonies mouvantes, jouant sur les différents timbres et traitements analogiques, ce premier morceau fait partie de ses ouvertures de disque qui ne laissent pas indifférent. Mieux, elle est de celles qui marquent l’auditeur au plus profond de sa chair dès la première écoute, clouant d’emblée nos plus intimes émotions sur ce crescendo à la suffocante intensité.

Ces variations situées à l’échelle du demi-ton, propres à l’écriture de Greenwood, convoquent des couleurs modales pour souligner chaque impulsion, chaque accent, chaque geste musical dont aucun ne semble être superflu. Il y a un soupçon d’Everything In Its Right Place dans ce titre, à l’image du morceau d’ouverture de Kid A de Radiohead, qui prenait en otage, il y a tout juste 22 ans, ses auditeurs pour amorcer un virage à 180° qui ouvrait un nouveau chapitre sur leur musique ainsi que sur celle du paysage musical de ce début de nouveau siècle.

Cette vision de l’abîme, renforcée par les paroles factuelles mais terrifiantes de Thom Yorke, nous plonge alors dans un monde où l’enfer et le paradis ne font plus qu’un, et ce jusqu’au glissement final, glitch résiduel offert comme une porte ouverte vers un retour sur terre… à moins qu’il ne s’agisse là que du début d’un merveilleux mais terrifiant voyage.

Somebody’s hearing voices

(Somebody’s going down, down, down)

You’re going down

The Smile – The Same

Avec son pattern alambiqué, loin des standards de rock en 4/4, The Opposite, pensé comme le miroir du morceau précédent, appose la signature de Tom Skinner sur les enchevêtrements mélodiques générés par les arpèges brisés de Greenwood. Le chœur angélique du London Contemporary Orchestra soutient la voix de Yorke tout en rappelant le raffinement de cet équilibre déjà présent sur Present Tense ou Tinker Tailor … .

Le rapprochement est plutôt évident puisqu’il s’agit du même ensemble, et que Greenwood prend le soin d’orchestrer et arranger lui-même ses propres partitions. Un savoir faire d’orfèvre qui dénote avec la majeure partie des compositeurs stars dont le travail s’arrête, pour la plupart, à l’étape de la composition et de la préproduction.

Mais ce qui frappe surtout dans ce morceau, c’est la place accordée à la guitare et ses effets. Avec ses riffs construits sur un principe de phasing et de répétitions emprunté à Steve Reich – avec lequel il a collaboré sur Radio Rewrite, en livrant notamment une mémorable interprétation d’ Electric Counterpoint -, Greenwood joue avec les syncopes et les delays permis par ses propres programmations sur Max MSP pour définir une texture sonore unique. Le temps et l’espace se tordent et livrent à l’auditeur une expérience qui dépasse celle attendue par un jeu plus classique et terre-à-terre.

Le diptyque formé parThe Same et The Opposite semble questionner l’essence même du projet : Radiohead avec seulement deux membres sur cinq, agrémenté d’un batteur venu d’un autre horizon, est-ce encore du Radiohead ? Assurément, non. The Smile commence t-il alors là où Radiohead s’était arrêté ? Rien n’est moins sûr. Et c’est bien tout le paradoxe et l’ambiguïté de la chose.

On pourrait en effet longtemps s’interroger sur le sens (ou l’absolue nécessitée pour ses membres) de créer ce nouveau groupe, side-project qui n’en est pas vraiment un mais qui lui permet de renouer avec des salles plus intimistes, se libérer de la pression et du carcan de Radiohead tout en retrouvant une forme d’écriture plus directe et spontanée. Avec, peut-être au bout, une nouvelle forme de liberté retrouvée.

What will now become of us ?

The Smile – The Opposite

Premier single délivré en janvier, You Will Never Work In Television Again surprend par son énergie punk, sa ligne mélodique claire, à la fois épique et véhémente et ses deux minutes quarante-huit secondes au compteur. Thom Yorke laisse sa voix de poitrine s’exprimer pour s’asseoir dans des aigus plus incisifs, instinctifs aussi. La prosodie du morceau exige de lui une projection inhabituelle de certaines consonnes, tour à tour expulsées ou ravalées face à des voyelles qui viennent lutter contre la rythmicité galopante de ce titre abrasif.

Reste des paroles acerbes envers les rapports entretenues entre la sphère médiatique et politique, doublées d’un regard lucide sur le monde de la prostitution et du harcèlement dans les enjeux de pouvoir, où valsent main dans la main le scandale de l’affaire Weinstein et les frasques de l’ancien premier ministre italien Silvio Berlusconi.

L’introduction de Pana-vision – morceau dévoilé à l’occasion de son intégration dans l’épisode final de Peaky Blinders – rappelle elle la partition de la seule bande-originale écrite à ce jour par Thom Yorke, à savoir celle du Suspiria de Luca Guadagnino. Avec son ostinato menaçant, instable et rampant joué au piano dans les aigus, il dessine un monde où le mystère prend plus que jamais forme humaine, dans ses moments de grâce ou d’horreur.

Remplaçant le Fender Rhodes entendu dans la première version donnée à Glastonbury par un piano droit acoustique, ce dénuement installe malgré tout un groove évident, souligné par une section rythmique basse / batterie au sommet. Les modulations, nombreuses, jouent sur l’entêtant motif mélodique qui s’effacent au fur et à mesure derrière une section de cuivres d’une redoutable efficacité, avant que les cordes ne viennent caresser les étranges harmonies du trio.

The Smoke, essentiellement bâti sur un riff de basse et un pattern de batterie lascifs, complémentaires et obsédants, assoie, dans un même geste et dans son apparent dépouillement, à la fois le génie mélodique de Yorke, celui d’arrangeur de Greenwood et la précision rythmique de Skinner.

Attribuant un espace et un traitement privilégié à chaque instrument (notamment au niveau de la basse et de la batterie), Nigel Godrich souligne chaque aspérité du morceau pour le porter vers une dimension où le génie de la production est pleinement au service de la créativité musicale de ses compères. Mais ces rôles ne sont peut-être pas si figés et imperméables qu’on ne le pense, car l’osmose est ici de tous les instants, et ce même dans le jeu de déconstruction proposé par Dennis Bowell dans son remix dub adoubé par Greenwood lui-même.

Avec ce qui s’impose peut-être comme la structure et la composition la plus étrange du disque, Speech Bubbles cache très bien, dans un premier temps, ses ambitions de folksong désabusée. Avec ses paroles, le morceau semble tisser un pont vers le titre-fleuve End of The Empire du dernier album d’ Arcade Fire, dans sa vision eschatologique du monde. Déchirante dernière partie avec ses cordes plaintives et sa lumière au bout du tunnel ; une idée et une image définitivement au cœur du disque, qui illuminent ici chaque notes et chaque mots.

We run for the hills

We run like fools

Our city is in flames

The bells ringing

The Smile – Speech Bubbles

Thin Thing, inspiré par un rêve – ou plutôt un cauchemar, comme en témoigne le clip qui y est associé – fait par Thom Yorke, nous convie à nouveau aux portes de l’enfer, porté par le fingerpicking étouffé et dévastateur de Jonny Greenwood. Là où la version live proposait une décharge d’énergie brutale et bruitiste sur son refrain instrumental, la version studio propose une approche quelque peu différente, plus insidieuse, mélodique et composite. Ce qui pouvait sembler obscur et bancal devient alors ici clair et solide, marqué par l’ajout d’un orgue très 60’s donnant un charme presque gothique à cette pièce-maîtresse.

Issu des fameuses chansons en work-in-progress de Radiohead, en gestation depuis plus de 15 ans sous le titre Porous, Open The Floodgates emporte tout sur son passage. Pas dans le bruit et la fureur, comme les éclats électriques de certaines pistes précédentes, mais plutôt dans un doux mouvement, envoûtant et enivrant. Le synthétiseur granulaire évolue sous l’effet des accords plaquées d’un Rhode onirique tandis que des arpèges de guitare méditatifs s’évaporent doucettement pour laisser la voix de Yorke s’élancer vers l’éther.

Then no one gets hurt

We absorb you

We absolve you

Throw your rubbish away

The Smile – Open The Floodgates

Dévoilé dans une version solo au Royal Albert Hall l’hiver dernier, Free In The Knowledge confère au sublime, non loin des plus grandes chansons de Neil Young et s’inscrit directement ici parmi les plus belles de Thom Yorke. Avec son clip oscillant entre bad trip sous substances hallucinogènes et rituel païen façon The Wicker Man (ou, pour rester dans l’univers de Radiohead, du cérémonial visible dans le clip de Burn The Witch), le morceau nous plonge dans un autre univers, un monde entier. Celui de l’homme face à la nature, du physique face au psychique, du rationnel face au sacré. Et avec toujours cette déchirante mélancolie, qui se sert du réel pour mieux nous transporter dans l’univers du rêve, avec sa douce lumière et ses parts d’ombres.

A Hairdryer – littéralement « un sèche cheveux » – déploie une guitare tentaculaire au son spectaculaire, gonflé, ample et cristallin pour une nouvelle virée en enfer qui n’est pas sans rappeler le spectral These Are My Twisted Words de .. Radiohead. Tout en circonvolution, cette séance d’hypnose sous haute lumière se termine par une minute s’ouvrant vers de grands territoires planants, alliage d’ambient et de paysage sonore comme nous n’en avions pas connu depuis Treefingers, pour revenir toujours aux mêmes références ; difficile en effet, face à tant de beauté et de motifs évocateurs, de ne pas penser à ces tendres territoires connus.

Look at all the pretty lights

(It takes me time to rebuild somebody)

The Smile – A Hairdryer

Surprenante ballade aux accents synthétiques ensuite que celle de Waving A White Flag , toujours nappée des cordes enveloppantes pensées par Greenwood, comme pour mieux donner corps à cette épopée douce-amère axée autour d’une recherche de lucidité quand à notre propre état de conscience. Des mots durs sur nos actes, ceux réalisés et ceux manqués, et les conséquences qu’impliquent notre aveuglement, notre surdité et notre inaction, justement, face à certaines situations qui demanderaient pourtant une implication immédiate. Ce qui semble alors partir de l’intime tend vers le collectif, du personnel à l’universel, le morceau se clôturant avec la voix d’un Thom Yorke plus terrien que jamais et à la recherche, toujours, d’une issue face aux faux-semblants.

There has to be a way out

There’s another way out

The Smile – Waving A White Flag

We Don’t Know What Tomorrow Brings nous entraîne dans une danse diabolique, noire et sans concession. On pense notamment au Ful Stop de Radiohead, tant dans son atmosphère musicale que sa thématique proche («  It’s a terrible shame  » répondant comme un écho au cinglant « You really messed up everything » du cinquième titre de A Moon Shaped Pool). A noter que la honte, ce sentiment maintes fois exprimer depuis le single dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom qui a mis le groupe d’Oxford sur le devant de la scène internationale, est encore très présent ici, comme dans A Hairdryer et l’insistant «  Shame on you  » répété plusieurs fois par Thom Yorke dans sa première partie.

Mais ici, au delà des paroles, c’est bien la texture qui inscrit immédiatement dans l’oreille et l’esprit de l’auditeur la teinte grave et profonde du morceau. La basse électronique, jouée par Greenwood depuis un pédalier d’orgue midi en concert, ainsi que celle électrique, toujours jouée par Greenwood ( !) donnent au morceau toute sa texture, contrebalancée par les percées électriques de la guitare de Yorke, le contrepoint plus aigu des notes synthétiques créant un liant entre la voix vindicative du chanteur et la batterie incisive de Tom Skinner.

Un titre qui reflète le contexte dans lequel le groupe s’est formé – le confinement de février 2020 – et l’incertitude qui règne encore sur le monde, face à la pandémie et à une Europe menacée par les extrêmes et la guerre. Et toujours cette recherche d’une issue, d’un horizon, coûte que coûte, qui s’inscrit dans le texte et dans la ferveur de ce titre anxiogène, urgent et incendiaire.

Can’t find my way out

And the sides are closing in

The Smile – We Don’t Know What Tomorrow Brings

Le disque se clôt avec le sublime et mélancolique Skrting On The Surface, pépite dont on a, justement, longtemps espéré son retour des profondeurs. Connu sous les titres Skarting .. ou Skirting .., ce morceau en évolution et gestation constante date du siècle précédent ou, pour être plus précis, de la période Ok Computer, quand certains extraits de ses paroles apparaissaient sur le site du groupe.

Il aura donc fallu près de 25 ans à Thom Yorke et Jonny Greenwood pour ôter la première voyelle à son titre et donner enfin au morceau ses lettres de noblesse, avec la dimension et l’écrin qu’il méritait depuis toujours, la basculant au passage des versions de travail de Radiohead à celles de The Smile. Un titre existentialiste, somptueux et déchirant, construit autour de trois arpèges hypnotiques joués à la guitare et agrémentés, bien évidemment, par les variations, modulations et orchestrations savantes de Jonny Greenwood.

When we realize, we have only to die, then we’re out of here
We’re just skirting on the surface
We have only to click our fingers and we’ll disappear
We’re just skirting on the surface

The Smile – Skrting On The Surface

Nous savons depuis longtemps que tout ce que touche Yorke ou Greenwood – et, par extension, le fidèle producteur et sorcier du mixage Nigel Godrich – met du temps à se révéler, atteignant souvent des paroxysmes dans sa capacité à délivrer des grower albums, ceux avec lesquels nous grandissons, humainement et artistiquement parlant, qui évoluent avec nous et nous révèlent, au fil des écoutes, des secrets pour mieux peut-être, au fond, nous révéler à nous-même.

Des talents de Thom Yorke (sa voix, ses mélodies, ses textes, sa recherche sonore perpétuelle), de Jonny Greenwood (son jeu de guitare, ses programmations d’effets, ses orchestrations et sa science de l’arrangement) et de Tom Skinner (son jeu polyrythmique, son kit organique, sa frappe chirurgicale), on retient ici surtout la parfaite symbiose qui émerge du trio, tirant parti des forces de chacun pour mieux accéder à une forme d’égrégore, différente de celle ayant émergée de Radiohead au fil des décennies, afin de délivrer un album aussi étonnant qu’attendu, à la fois brillant, actuel et évident.

L’abstraction, qui a parfois perdu plus d’un amateur de Radiohead se fait ici impressionnisme, et seules les paroles semblent tendre ici à une pincée de symbolisme sans perdre en concision ni en réalisme. Thom Yorke nous offre de grandes performances vocales, appuyées par les traitements de Greenwood et Godrich, tout en refusant tout automatisme ; rien n’est induit, tout reste à découvrir, tel la promesse d’un beau et surprenant voyage.

Une fois encore – après A Moon Shaped Pool – la pochette du disque appel à l’errance et à la contemplation, bien que la surcharge informationnelle et iconographique nuise quelque peu à sa pleine lecture. Dans une cartographie à la fois tellurique et aquatique, à l’image des rainures formés dans les méandres et entrelacs, les dessins et différentes couches de peinture apposées par le fidèle Stanley Donwood et Thom Yorke permettent de cibler cet univers aux multiples horizons, à la fois organiques, géographiques et esthétiques.

Sensible et (dés)incarné, A Light for Attracting Attention est un voyage où le monde de demain se dessine peu à peu sur les ruines de celui d’hier, dans l’espoir de trouver une nouvelle voie pensée toute en rhizomes, avec le cœur et l’esprit pour toucher directement l’âme ; car, chez The Smile comme chez Radiohead, chez Thom Yorke comme chez Jonny Greenwood, chez Tom Skinner comme chez Nigel Godrich, tout est Un.

The Smile – A Light For Attracting Attention

Disponible le 13 mai en streaming et digital, sortie physique (CD et vinyle) le 17 juin.

XL Recordings Ltd / Self Help Tapes LLP.

The Smile sera en tournée en France à Lille (04/06), Paris (06 & 07/06), Lyon (08/06) , Dijon (12/06), Reims (24/06) et Nîmes (11/07).

AMOUREUX DES SONS, DES MOTS ET DES IMAGES, DE TOUT CE QUI EST UNE QUESTION D'ÉMOTION, DE RYTHME ET D'HARMONIE.

    You may also like

    More in MUSIQUE