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« Retour à Reims (Fragments) » – Archives de classe

Retour à Reims © Ciné-Archive - Fêtes de la voix de l'Est - Anonyme (1958)
Retour à Reims © Ciné-Archive - Fêtes de la voix de l'Est - Anonyme (1958)

Le documentaire Retour à Reims (Fragments) réalisé par Jean-Gabriel Périot adapte librement l’essai éponyme de Didier Eribon. Porté par la voix-off d’Adèle Haenel, le film enrichit d’images d’archives le texte original.

Mis à part un passage par la fiction en 2017 avec Lumière d’été, Jean-Gabriel Périot est attaché au format du documentaire depuis ses débuts (Une Jeunesse allemande en 2015, Nos défaites en 2019). Dans Retour à Reims (fragments), présenté à la Quinzaine des réalisateurs 2021, il transforme le texte de Didier Eribon. Le réalisateur propose un panorama historique de la classe ouvrière des années 50 à nos jours.

Faire des choix par fragments

Si le texte original de Didier Eribon est riche parce que kaléidéoscopique, Jean-Gabriel Périot au contraire l’épure. Il choisit ainsi de mettre de côté le narrateur et de passer sous silence sa qualité de transfuge de classe ainsi que son homosexualité. Ce n’est pas que ces sujets ne l’intéressent pas puisque son premier court métrage s’intitulait Gay ? (2000). Mais pour adapter la matière complexe du texte du sociologue, Périot souhaitait être efficace grâce à l’esthétique du fragment. Il a choisit de sélectionner un aspect du récit brûlant d’actualité en s’intéressant au basculement du choix de vote de la classe ouvrière. L’histoire de cette classe sociale est donc au cœur du documentaire.

Je suis frappé par ce que signifie concrètement, physiquement, l’inégalité sociale. Et même ce mot «  inégalité  » m’apparait comme un euphémisme qui déréalise ce dont il s’agit  : la violence nue de l’exploitation.

Didier Eribon, Retour à Reims

Ce qu’apporte le support visuel au texte de départ, c’est la puissance de l’image. Grâce aux archives choisies, les vies des membres de la famille de Didier Eribon (ses grands-parents, ses parents), prennent une dimension universelle encore plus marquée. Qu’il s’agisse pêle-mêle : de la rencontre des grands-parents au bal populaire du samedi soir, du harcèlement sexuel au travail subit par la grand-mère en tant qu’employée de maison ou du cancer de la gorge à cause du tabac, les archives montrent que les membres d’une même classe sociale suivent plus ou moins la même trajectoire de vie.

Archives

Le livre de Didier Eribon date de 2009. Déjà, l’auteur se posait la question des raisons du basculement du vote historiquement communiste de la classe ouvrière, vers les partis d’extrême droite. Il voyait à l’époque dans ce changement deux raisons. D’abord la responsabilité des partis de gauche qui semblaient délaisser cette classe sociale et ensuite le besoin des élécteur·ices de se sentir supérieures en se trouvant un bouc-émissaire. « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le vote pour le Front National doit s’interpréter, au moins en partie, comme le dernier recours des milieux populaires pour défendre leur identité collective et leur dignité qu’ils sentaient comme toujours piétinés […] » explique en voix-off le sociologue via Adèle Haenel.

Grâce au double regard du sociologue et du documentariste, le film ne porte aucun jugement. Outre le grand travail de recherche d’archive, Retour à Reims (fragments) met le texte en perspective avec l’actualité. L’épilogue s’intéresse en effet aux luttes actuelles en présentant sans voix-off des archives contemporaines. Comme le confiait Jean-Gabriel Périot à Maze en 2017 à l’occasion de la sortie de Lumières d’été :

Quand je monte des images d’archives, je les abstrais et je les ramène dans le présent. Toutes les images d’archives me parlent d’aujourd’hui, qu’importe leur datation. Je ne travaille pas sur la factualité des évènements mais davantage sur ce qui peut réunir des évènements en termes d’énergie contestataire, de révolte de violence ou d’enthousiasme.

Jean-Gabriel Périot pour Maze en 2017

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