A l’origine feuilleton hebdomadaire sur le compte Instagram @Mâtin Quel Journal !, Mythes et Meufs nous replonge dans les grands mythes et récits de notre enfance ou d’aujourd’hui, et y décortique ses personnages féminins.
Il n’est plus nécessaire de présenter Blanche Sabbah. Créatrice du compte plébiscité @Lanuitremueparis sur Instagram, co-autrice de Nos mutineries et de Marinette, Blanche apporte avec brio son talent d’illustratrice ainsi que ses convictions féministes sur chacun de ses projets. Mythes et meufs, paru en avril aux éditions Dargaud, signe son premier ouvrage en solo et à son image : drôle, féministe, juste.
La femme mythique, un mythe patriarcal
Que ce soit dans les contes qu’on nous lisait enfant, dans nos manuels d’Histoire ou encore dans les films, les femmes ont toujours joué un rôle central. Omniprésentes, elles ne sont pas pour autant mises à l’honneur de la même manière que leurs homologues masculins. Ainsi, le schéma prince charmant/princesse en danger est décliné dans de nombreux récits, tout comme celui de héros vertueux/femme fatale et manipulatrice, que l’on retrouve davantage dans les mythes anciens. Cette image répétitive de la femme témoigne de la conception sociale du sexe féminin, et de la manière avec laquelle la société patriarcale s’en est emparé pour servir ses propos.
C’est ce que Blanche Sabbah décortique et explique dans son ouvrage. Tout d’abord, le contexte et l’histoire de chaque personnage féminin sont racontés. Tout cela de manière classique mais ponctuée des traits d’humour caractéristiques de l’autrice. Ensuite, la conception de la femme décrite est analysée, et mise en lumière à travers le prisme du patriarcat et du contrôle de la femme. Il est ainsi facile de repérer dans chaque récit un schéma cyclique commun. Et ça, que ce soit dans un mythe grec ou bien dans un Disney.
Car la diversité des femmes présentées est ce qui est intéressant dans cet ouvrage. Nous trouvons ainsi des héroïnes antiques, comme Daphné, Cybèle ou encore Eve, qui bâtissent notre société et notre éducation. Mais à leurs côtés sont positionnées des héroïnes plus modernes : Pocahontas, Elsa (de la Reine des Neiges), et même Karaba la sorcière du film Kirikou. Chacune de ces femmes a un univers qui s’est construit autour d’elle. Il a été prêté à chacune d’elles des caractéristiques destinées à les connoter négativement. Il y en a par exemple pour qui l’histoire a été embellie à des fins cinématographiques (nous pensons par exemple à Pocahontas). Tandis que d’autres ont été détournées par la religion ou par la société à des fins sociales (Judith, ou même Eve).
Le travail de Blanche leur rend justice, et fait office de loupe géante nous permettant de voir au travers de l’écran de fumée patriarcal.
Apprendre pour mieux comprendre
Au delà d’alerter sur la vision de la femme, c’est une démarche pédagogique que Blanche Sabbah entreprend. Ainsi, à la fin de chaque “feuilleton”, nous pouvons trouver une page écrite d’explications, d’exemples et de liens nous permettant de creuser davantage l’histoire du mythe. Cette rupture dans le format purement BD lui confère une portée d’apprentissage. Elle lui permet de relier encore davantage les images et les traits d’humour à la réalité. Cela permet également d’approfondir davantage certaines explications, qui ne peuvent tenir en dix cases de BD. C’est le cas notamment pour les mythes et récits qui cachent un message bien plus profond.
Nous pouvons par exemple prendre le cas de Karaba la sorcière. Quel enfant n’a-t-elle pas, elle et ses fétiches, terrorisé ? Or, derrière ses airs tyrannique, Karaba cache la blessure d’une violence faite par les hommes (avec un petit h oui) sur elle. Victime d’un viol collectif, sa transformation en méchante sorcière n’est en fait que l’allégorie d’une protection traumatique que les victimes peuvent endosser suite à un crime commis sur elles. Peu évident à comprendre lorsque l’on est enfant. Il est fascinant de découvrir cette histoire de par les dessins de Blanche Sabbah et ses fiches explicatives.
La BD aborde aussi également beaucoup la question des sorcières. Que ce soit donc Karaba, Eve, Lilith ou même Elsa, la femme puissante est une suivante de Satan. Cela va de soi. Il y a ici l’illustration de la nature manichéenne de ce que la femme est supposément. Soit une épouse modèle, mais femme faible, soumise à son mari. Soit une sorcière, femme fatale, et donc une ennemie à éliminer.
De prime abord, déjà, il est évident que ce constat est réducteur. Mais plus encore, si l’on se penche à l’intérieur de ces stéréotypes. Ainsi, nous pouvons voir qu’il n’est nulle part question de faiblesse chez ces femmes. Ainsi Pénélope, la femme parfaite, qui attend Ulysse pendant des années et des années, symbole de la fidélité extrême. Elle n’a visiblement pas besoin de son mari pour se protéger seule des autres hommes. De même pour Lilith, première femme d’Adam. Celui-ci la congédie car trop puissante, au profit d’une femme plus sage (et l’on sait où cela l’a mené, n’est-ce pas ?).
Dangereuse Lilith ? Pour qui ? Elle est la mère des femmes, la mère des sorcières, elle n’est un danger que pour les hommes. Si le masculin l’emporte sur le féminin en grammaire, cela ne signifie pas que ce doit être le cas dans la vraie vie. Ca ne l’est pas, par ailleurs. Et ça, Mythes et meufs nous le rappelle très bien.
Mythes et meufs, de Blanche Sabbah. Ed. Dargaud, paru le 15 avril 2022. 18€