Après La Pièce rapportée sorti en décembre 2021, Antonin Peretjatko signe une œuvre détonante, Les Rendez-vous du samedi. Dans la lignée des films-essais engagés, le film s’amuse à danser sur le fil entre le documentaire et la fiction. Il bénéficie d’une sortie DVD et en salle le vendredi 1 avril 2022 ainsi qu’en streaming sur la plateforme du distributeur Shellac Films.
Pierre Bolex, 41 ans, narrateur constamment hors-champs, se souvient du Paris du confinement, le Paris du soulèvement. Sa mémoire comme fil conducteur, il évoque et convoque les images qui l’ont marqué. D’une part une voix off, la pellicule 16mm, les prises de vue réelles lors des rassemblements des Gilets Jaunes. De l’autre côté, la légèreté, la poésie et les émois amoureux comme fil d’Ariane. À première vue, l’onirisme et la douceur sont incompatibles avec le geste politique, la gravité de la coercition de l’état. Étrangement, dans Les rendez-vous du samedi, les deux visions se marient bien, fruit heureux de tout, sauf du hasard.
Farce et attrape
Antonin Peretjatko utilise ses propres prises de vue capturées lors des rassemblements. La posture de ces segments est résolument documentaire. Toutefois, le cinéaste s’aligne plutôt en phase avec des documentaristes comme Chris Marker, ou Werner Herzog. Si la dimension politique est un rapprochement évident pour Marker, pour Herzog, le parallèle se fait sur le rapport à la fiction. Connu pour ses comédies d’apparence légère, Peretjatko insuffle toujours la satire des institutions dans ses films. Dans la loi de la jungle (2016), il est évident que la problématique du long-métrage est le mépris de la bureaucratie métropolitaine envers les territoires d’outre-mer, sorte de relent néocolonialiste. Si dans ses vaudevilles la critique n’est pas loin, dans le pamphlet, la farce est une composante indispensable.

La propension à la parodie, et cela, même au sein d’images du réel, permet au réalisateur et au spectateur de prendre du recul sur la violence des images. Par exemple, certains jets de pavés ou des vitres qui se cassent sont postsynchronisés tant et si bien qu’il n’y a aucun doute sur la facticité de la bande son. En cela, Les rendez-vous du samedi se rapproche de l’œuvre de Werner Herzog dans sa fictionnalisation du réel. Par lyrisme pour l’allemand, par facétie pour le réalisateur français.
De plus, certains textes sont récités par le narrateur sans que le spectateur s’en aperçoive. Des citations de Prévert, Cocteau, Aragon, etc. Le procédé rappelle évidemment le travail de Jean-Luc Godard et d’Anne-Marie Miéville. Et plus particulièrement, Je vous salue, Sarajevo (1993) réalisé uniquement par Godard. Le réalisateur suisse utilise exactement la même pratique avec Le Crève-cœur (1941) d’Aragon.
« …qui veut dire, il est vivant, en grec ancien »
La fiction permet aussi d’alléger le propos, d’offrir de l’alternance de véhicules émotionnels. Mais l’histoire de Domino (Alma Jodorowsky) ne sert pas qu’à être rafraîchissante : elle est le symbole d’un oubli dont le souvenir nous hante. Cet oubli, c’est la paix sociale achetée au prix du plus fort anesthésiant. L’impondérable de la crise des virus SARS-CoV2 a effacé le trouble qui précédait. L’innocence n’est pas synonyme de naïveté. Ce Paris au joli mois de mai est un aide-mémoire pour ne pas oublier l’impardonnable.

Pour finir, le fantasme permet d’ajouter au rendez-vous du samedi une puissance formelle. À de multiples reprises, Peretjatko appose deux séquences de l’une à côté de l’autre. Malgré la simplicité de l’effet, il permet d’interroger les images. Ce questionnement est absolument nécessaire dans le genre film-essai pour rendre actif le spectateur et appuyer son propos. Cette inventivité est aussi à la fameuse alternance émotionnelle, les images d’affrontements ne convoquent pas les mêmes moyens que les pures expérimentations poétiques.
Chronique du temps présent et du temps passé, Les Rendez-vous du samedi enivre par sa poésie, sa beauté. Il s’impose comme référence sur le questionnement du mouvement gilet jaune.