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« Le Dragon » – Le grand conte du monde

© Nicolas Joubard
© Nicolas Joubard

Habitué des spectacles électriques, Thomas Jolly met en scène Le Dragon (1944), pièce de Evguéni Schwartz, au théâtre du Nord à Lille. Un show spectaculaire et brûlant d’actualité à voir du 27 au 30 avril.

Pour le dramaturge russe Evguéni Schwartz, Le Dragon devait au départ être «  un conte en trois actes  » anti-nazi. Mais comme il l’écrit très justement dans sa pièce, le mal est protéiforme  : «  Ou, réellement, le dragon n’est pas mort et, comme ça lui arrivait souvent, il s’est changé en humain  ? Mais cette fois il s’est transformé en une multitude d’humains  ». Le dragon totalitaire nazi est alors devenu le dragon totalitaire stalinien et la pièce a été interdite au lendemain de sa première représentation en URSS.

En 2022 c’est dans un contexte tout aussi particulier politiquement qu’est jouée la version de Thomas Jolly. Une actualité qui a rattrapé le metteur en scène qui confiait en juin 2021, lors des débuts de la pièce au Quai CDN d’Angers, qu’il dirige  :

Le propos franchit les frontières de l’espace et du temps, et vient résonner sur notre actualité. Mais c’est bien le geste de l’auteur, et mon travail de traduction scénique qui permet cette lecture, pas parce que je viendrais plaquer une actualité sur les mots : recontextualiser au présent une œuvre ancienne peut être intéressant mais, selon moi, forcément réducteur. Le Dragon parle de 44, et d’aujourd’hui et… aussi peut-être de demain. 

Thomas Jolly, propos recueillis par Jenny Dodge, juin 2021

Un spectacle total

L’histoire du Dragon est simple et commence comme cette autre célèbre histoire russe qu’est Le Sacre du printemps (1913). Par un soir de tempête, Lancelot arrive dans une maison d’une bourgade isolée. Un chat l’accueil et le met au fait des coutumes du lieu  : chaque année depuis 400 ans, une jeune fille est sacrifiée à un dragon qui sème la terreur dans le village. Cette année, c’est Elsa, fille de l’archiviste Charlemagne, qui sera donnée en pâture au monstre. Alors que tous·tes les habitant·es s’y sont résigné·es, seul Lancelot décidera de défier la bête.

C’est à grand renfort d’effets sonores et de jeux de lumière que commence le spectacle. Après le flamboyant Richard III, Thomas Jolly confirme son amour pour le spectaculaire. Si la scène est souvent sombre, plongée dans la pénombre, c’est pour mieux rendre l’atmosphère fantastique et pessimiste du conte, mais aussi pour faire ressortir les effets de lumières. Dans ce clair-obscur angoissant, la dimension comique présente dans le texte de Schwartz apparaît sur scène de façon d’autant plus perçante. Thomas Jolly dynamise le texte grâce à une mise en scène rythmée. Sur scène, les acteur·ices entament des ballets millimétrés et drôles. La noirceur du sujet est ainsi allégée par ces moments comiques.

En 1944 comme aujourd’hui, la pièce interroge la capacité de résistance contre un pouvoir totalitaire. Elle rappelle que si une de ses formes est éradiquée, il peut se réincarner de multiples façons. Le Dragon est une œuvre inventive et drôle qui s’appuie sur les contes et le folklore.

Le Dragon d’après la pièce de Evguéni Schwartz, mis en scène par Thomas Jolly. À partir de 12 ans, au Théâtre du Nord de Lille du 27 au 30 avril 2022. Durée 2h40.

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