Vainqueur ex-æquo du Prix spécial du jury à Rotterdam et programmé à l’ACID à Cannes, I Comete (Les Comètes), le premier long-métrage de l’acteur et réalisateur corse Pascal Tagnati, a été présenté le 3 août dernier au Festival du film de Lama, en Corse. Le film, qui observe et décrit un village corse durant un été, participe de la diversification et de la mue du cinéma insulaire observées ces dernières années.
Cette année, comme à l’accoutumée depuis quelques années, le Festival du film de Lama a mis les productions cinématographiques corses à l’honneur. Le mardi 3 août, avant la projection d’I Comete, trois courts-métrages étaient d’ailleurs diffusés : La Nuit est là de Delphine Leoni, La Comète de Piero Usberti et Résurrection de Délia Sepulcre-Nativi. Puis, entouré de ses acteurs mais également de ses producteurs, le jeune Pascal Tagnati a présenté son premier film, I Comete, tourné à Tolla, petit village lacustre de Corse-du-Sud.
Le réalisateur, également acteur de son propre film, pose sa caméra, durant un été, pour peindre la vie d’un village. Une galerie de personnage se met alors en place : la photographe qui parcourt le monde et qui revient au pays, le fils adoptif noir d’un entrepreneur de la Corsafrique qui s’entretient longuement en corse avec une doyenne du village. Mais aussi les familles aisées avec leurs grandes maisons surplombant le lac, les pompiers en poste de surveillance incendie, les gamins du village qui font les 400 coups. « Des figures qui m’habitent », comme les décrira Pascal Tagnati.
Le film tire alors sa force du fait qu’il marche sur un fil, entre documentaire et fiction. En effet, les scènes sont une succession de plans fixes. De l’une à l’autre, la transition est parfois brutale. Mais le procédé choisi est explicitement assumé par son réalisateur. Il rappelle que la quasi-totalité du long-métrage est écrite. Nous avons affaire ici à une fiction dont les dialogues — parfois teintés d’un humour corrosif appréciable — sont méticuleusement préparés et mis en scène. Pascal Tagnati parle d’un « dispositif qui permet de mettre en rencontre les individus. »
La temporalité de l’action est volontairement brouillée, réduite simplement à la saison estivale. Pourtant, quelques moments identifiables se dégagent, qui sont peut-être les symboles éminents d’un village corse l’été, notamment la fête du village. On observe ainsi la procession religieuse le matin, et son bal le soir, où se mêlent malaises éthyliques, déclarations d’amour imbibées et ennui profond sur la piste de danse.
Les personnages dialoguent sur tout et rien : le football, l’avenir professionnel des uns, les amours des autres. Certains échanges, plus longs et sérieux, donnent une certaine épaisseur politique au film. On pense notamment au dialogue entre le personnage de François-Régis, interprété par Jean-Christophe Jolly, et une dame âgée, interprétée par Roselyne de Nobili, à propos des us de l’époque, notamment du féminisme. Dans une partie de pêche avec François-Régis, Théo, corse, interprété par le réalisateur, confie les a priori et les clichés auxquels il a pu faire face en fréquentant la famille de sa petite amie bretonne.
Pascal Tagnati reconnait n’avoir pas la prétention de dire ce qu’il se passe en Corse, mais il tente, avec un certain succès, de proposer une vision universelle de la société corse. Pour la filmer, il semble avoir choisi l’angle de la contemplation, en témoignent les longues séquences sans dialogues, notamment celle où un habitant du village atterrit en hélicoptère devant sa grande villa, avant d’y pénétrer pour y interpréter une pièce au piano, qui sera restituée à l’écran dans son intégralité.
S’il est aidé par un casting composé à parts égales de professionnels et d’amateurs, un personnage se dégage : celui de Bastien, campé par Cédric Appietto. L’acteur, vu récemment dans Madame Claude sur Netflix, mais également dans Une Vie violente, et acclamé à Lama il y a quatre ans, livre ici une prestation aboutie. Il interprète avec conviction cette grande gueule, assise sur son quad au début du film, qui s’avère être un garçon un peu perdu, un peu fou aussi, mais attachant, plongé dans une misère sexuelle qu’il trompe en se masturbant derrière son ordinateur sur les shows d’une camgirl qui, tout près, se prélasse au bord de la rivière voisine.
Si le film perd peut-être en longueur — quoique nécessaire pour proposer un tel scénario — ce qu’il gagne en qualité d’écriture, il a le mérite d’offrir une nouvelle vision cinématographique de la Corse, une autre vision, bienvenue à la fois pour l’île, mais aussi pour son cinéma.