Ouvrage collectif, « La Chambre d’écho » questionne l’imbrication entre crise et littérature. Alors que l’épidémie de Covid empêche les réunions, c’est sur zoom que se tient le débat pour la remise du prix littéraire Alain Spiess en 2020.
Cette expérience virtuelle, où l’amitié est plus que présente, sera retranscrite sous la forme de livre où les textes s’emmêlent. Cet ouvrage rassemble une myriade d’écrits littéraires, théoriques, professionnels ou amateurs. Dans l’introduction, le lauréat du prix Goncourt en 2017 Nicolas Mathieu fait deux constats. Tout d’abord, la crise n’est plus un état temporaire, ensuite la littérature peut encore quelque chose dans le monde. Il écrit ceci :
La littérature peut donc être le greffier de la crise, en fait l’inventaire aussi bien que la radiographie, mais (…) elle doit craindre de se perdre dès lors qu’elle vise la résolution de crise.
La crise sanitaire
« À l’origine, terme médical, la crise est ce moment particulier et décisif où la maladie peut évoluer en bien ou en mal » écrit Véronique Jacob. La crise sanitaire a mis le pays à l’arrêt. Différents changements et événements ont eu lieu : confinements successifs, petits espaces, relations rendues impossibles. Durant cette période, certains arrêtent d’écrire et de lire. D’autres témoignent via les réseaux sociaux. D’autres encore tiennent un journal du dérangement de leur quotidien. Une chose est sûre : enfermement, temporalité et solitude sont des thèmes qui ont infusé la conscience collective.
Chacun, différemment, aborde son impression. Au début, ce temps arrêté ressemble à celui que s’aménage l’artiste ou l’écrivain en organisant son temps comme il l’entend. Puis, cette liberté se transformant en obligation, elle fait naître de l’angoisse et de l’inquiétude. Geneviève Damas fait part de sa difficulté à vivre sans s’étreindre :
J’ai compris à quoi ressemble une vie si personne ne vous touche. J’aime prendre la main, saisir un bras, donner un coup de coude, caresser une joue, serrer dans les bras, fort, fort, fort. Peau contre peau. Sans contact, la vie ne ressemble pas à grand-chose. Elle n’est ni belle, ni utile, juste triste comme la pluie et encore la pluie, c’est parfois magnifique.
La crise sous toutes ses formes
Cependant, l’ouvrage ne se limite pas à l’aspect sanitaire de la crise mais prend aussi en compte les autres types de crises et de conflits qui régissent nos existences : la crise d’adolescence, les difficultés de couple, la crise écologique, la crise de la quarantaine, la crise migratoire. La littérature raconte et rend vivantes ces crises plurielles. Françoise Spiess témoigne de ce lien entre crise et littérature en écrivant :
On voit donc (…) que les crises que nous traversons sont relayées par les écrivains, qu’ils les transfigurent pour nous donner à voir ce que nous ne voyons parfois plus, tant ces misères économiques, écologiques, psychologiques, nous sont devenues familières.
Pourtant, malgré cette apparente familiarité entre littérature et crise, cette période particulière a bouleversé et réinterrogé les manières de faire de la littérature. Lors du confinement de 2020, des initiatives ont vu le jour. C’est le cas de celle proposée par le théâtre de la Colline qui inventa une plateforme téléphonique littéraire où il était possible d’appeler un numéro pour entendre un acteur lire un texte. D’autres, comme Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix, ont décidé de créer un projet de spectacle. Ils ont rencontré plusieurs centaines de personnes pour dialoguer autour de la notion de « réparation ». Ils furent surpris que ces innombrables récits, avec ces vivants, soient souvent l’occasion de parler de ceux qui étaient morts.
Peut-être que ce qui reste le plus marquant dans ce recueil est ce témoignage commun : la littérature a la capacité, toujours vivace, d’émettre des lueurs pour se guider dans un monde devenu obscur.
La chambre d’écho rassemble les écrits de Françoise Spiess, Dorian Astor, Geneviève Damas, Jean-Philippe Domecq, Lola Gruber, Christine Guinard, Véronique Jacob, Jean-Luc Vincent, Anita Weber, Nicolas Mathieu.
La Chambre d’écho, ouvrage collectif, Éditions du croquant, 12 euros.