Le long des croisements colorés des rues japonaises, sous les cerisiers fleuris et devant les konbinis ouverts toute la nuit, le roman d’Atsuhiro Yoshida nous fait voir une autre facette deTokyo – et de ses habitants – qui ne dorment jamais.
Paru le 3 mars aux éditions Picquier, Bonne nuit Tôkyô est un véritable voyage dans la capitale nippone, aux heures où l’on s’imagine ses rues désertes. Bien au contraire, les insomniaques tokyoïtes sont plus éveillé.e.s que jamais, et profitent de la quiétude nocturne pour, finalement, vivre un petit peu plus.
Grâce à un chauffeur de taxi privé, Matsui, disponible à toute heure et dans chaque coin de la ville, une flopée de personnages se succèdent tout au long des chapitres. Chacun a quelque chose à résoudre dans sa vie, une personne à retrouver, une rencontre à faire, un souvenir à oublier. Protégés par l’obscurité, à l’abri avec monsieur Matsui, ils se confient, se libèrent, et finalement acceptent de regarder en face ce qu’ils fuient durant la journée. Le roman est un chassé-croisé de rencontres qui n’adviennent pas et d’autres qui se forment sans que l’on comprenne exactement pourquoi. Mais certainement pas par hasard.
Un récit choral aux allures de quête initiatique
L’histoire se déroule par fragments. Chaque chapitre aborde un axe différent, avec un.e protagoniste différent.e. La seule constante est le chauffeur, Matsui, qui accompagne chaque errance avec fidélité et discrétion. Les personnages défilent, et les compteurs sont remis à zéro à chaque début de chapitre. “Il est une heure du matin” : ainsi commence chaque nouvelle histoire, ramenant à la même heure le début de chaque aventure. L’histoire suit donc plusieurs personnages, tou.te.s différent.e.s les un.e.s des autres, et qui n’auraient probablement pas eu l’occasion de se rencontrer en plein jour. Et pourtant, le roman crée des liens, propose des rencontres improbables mais qui, une fois passées, nous paraissent évidentes.
C’est la beauté et c’est subtil, de voir le jeu du destin dans chaque lien qui se forme. Même s’il paraît impossible, futile, ostentatoire, le fait est qu’il est. Et cela ne peut être que pour une bonne raison. Ainsi, nous pouvons donc, tout au long de notre lecture, nous plaire à nous imaginer les liens unissant telle et telle personne. Vont-ils garder contact ? Tomber amoureux peut-être ? L’un.e sera-t-il responsable de la chute de l’autre ou bien, au contraire, le sauvera-t-il de lui-même ?
Se perdre pour mieux se retrouver
Chaque personnage que l’on rencontre au fil du livre est perdu.e. Que ce soit à l’intérieur de lui-même, ou vis-à-vis d’une situation extérieure. Concernant cette dernière, le personnage de Matsui représente le phare au milieu de la tempête. Véritable yôkai protecteur, il veille sur ses clients déboussolés, leur prodiguant de bienveillants conseils, et leur offrant sa disponibilité totale. Finalement, tout au long de l’histoire, Matsui parle peu. Tout est transmis par son aura et par ses actes. Ce n’est qu’à la fin qu’il se révèle petit à petit comme un client lui aussi. Prisonnier de cette nuit japonaise, à la recherche, incessante, de ce qui le remettra sur un chemin plus éclairé.
Dans ce roman tout passe par la subtilité, chaque dialogue est une histoire d’amour. Emplies de métaphores, de douceur et de bienveillance, les interactions entre les personnages forment un choeur pacifique et reposant. On suit avec délice et apaisement le dénouement de plusieurs affaire, et la création de nouvelles solutions. C’est finalement une ode à l’humanité et aux relations entre humains. On arrive à si peu de choses seul.e.s. Alors que tout peut changer grâce à autrui.
Lire Bonne nuit Tôkyô, c’est se laisser glisser, s’abandonner à une fable moderne d’errance, de quête, et de liberté, au son des lampes clignotantes de la capitale. On ne cherche pas forcément ce que l’on trouve : c’est ce qui fait qu’un livre est bon.
Bonne nuit Tôkyô, de Atsuhiro Yoshida, éditions Picquier, 19€.