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Rencontre avec Nadège Loiseau : « Mes héros sont des personnages de BD »

Trois fois rien © Caroline Dubois
Trois fois rien © Caroline Dubois

Avec Trois Fois Rien, la réalisatrice Nadège Loiseau pose un regard tendre et juste sur le sort des SDF. Un feel good movie insolite et décalé qu’elle nous explique. Rencontre.

Malgré son sujet difficile (l’extrême précarité), Trois Fois rien est une vraie comédie. Faire rire en parlant des SDF, était-ce une gageure particulière  ?

C’était un enjeu terrible  ! Je crois que j’aime les défis et les challenges que je me lance à moi-même. C’était pour me tester. Je me demandais si j’étais capable d’adapter ce sujet sous l’angle de la comédie. J’ai la sensation qu’on y est arrivé, que ce soit moi ou toute mon équipe formidable.

Aviez-vous des références en tête  ? On songe par exemple à des films comme Une époque formidable de Gérard Jugnot…

J’étais assez jeune quand j’ai vu ce film, mais je ne l’ai pas revu récemment. J’ai la chance de ne pas avoir une grande culture cinématographique. J’ai des goûts assez maintstream. Je vais faire en sorte de conserver ma culture cinématographique intacte le plus longtemps possible, de manière à ne pas être écrasée de références. Pendant longtemps, j’ai pensé que ne pas avoir beaucoup de références était un défaut. Aujourd’hui, je ne dirais pas que c’est une qualité, mais ce n’est pas un handicap non plus.

Avez-vous suivi le travail d’associations en particulier au moment de la préparation du film  ?

Pas vraiment pendant la préparation, parce que c’est une étape qui nous laisse à peine le temps de se laver (rires). Plus sérieusement, on ne se lance pas sur un sujet comme ça, même en comédie, sans avoir fait un petit effort de documentation et d’observation. J’avais 8-9 ans lorsque j’ai pleuré pour la première fois devant un SDF. C’était à Lille et mes parents travaillaient dans le secteur social. Ils accompagnaient donc des gens parfois en très grande difficulté.

Crédit photo  : Justinien Schricke

Avant de me lancer sur Trois fois rien, je me suis souvenu de certains événements dont j’ai été témoin. Je pense à ces SDF que j’ai vu au Bois de Vincennes par exemple. Le film est une question que je me pose à moi-même. Où va mon regard  ? Est-ce que je les évite  ? Est-ce que je les regarde  ? Qu’est-ce que je peux faire  ? J’ai quand même fait relire mon scénario à deux amies qui sont assistantes sociales et qui travaillent dans une association à Paris qui s’appelle «  La Mie de Pain  ». Je ne voulais pas prendre le risque de raconter des conneries.

À voir ces trois personnages, on songe à la BD, au cartoon, mais également au genre du conte…

Ce sont effectivement des personnages de BD. Une nuit, les trois acteurs du film ont squatté ma cuisine et j’ai fait un dessin les représentant. Mes producteurs ont donc d’abord vu des croquis lorsque je leur ai parlé de Trois fois rien pour la première fois. Concernant le genre du conte, c’était une volonté. Je voulais avoir un regard d’enfant sur cette histoire. Un regard d’enfant, c’est cruel, naïf et optimiste. Un enfant ne juge pas mais essaye de trouver toutes les issues possibles. Et c’est justement ce que je voulais montrer avec mon film.

Gentiment, mais sûrement, et non sans une certaine férocité, vous dénoncez les absurdités des administrations. Vous êtes un peu la «  Ken Loach française  », non  ?

D’une certaine manière, je voulais surtout dénoncer, sous couvert de comédie bien sûr, les aberrations d’un secteur. Mes personnages ont gagné au Loto, mais ne peuvent pas encaisser leur argent sans une main tendue. Et cette main tendue dans mon film, c’est celle du personnage de Nadia (jouée par Emilie Caen, ndlr). Je pense que l’administration n’est pas faite pour aider les gens dans la rue. Et aider les gens tout court, finalement  ! Je savais que pour toucher le gros lot au Loto, il fallait simplement un RIB et une carte d’identité. Sans ça, mes personnages étaient un peu comme David contre Goliath. Et là, je savais que je tenais une idée de film.

Selon vous, y a-t-il un manque de psychologie et d’empathie dans les formations de ces employés d’administrations  ?

Je ne sais pas si les administrations doivent être empathiques mais si elles pouvaient déjà commencer par être logiques et être dans le concret, ce serait bien (rires)  ! Je ne sais pas à quel moment tout ça s’est déconnecté. Il y a des cloisons qui se forment. Je ne tape sur le dos de personne car tout le monde est pris dans cet imbroglio. Ce ne sont pas les gens qui travaillent dans les administrations qui sont ubuesques mais les administrations elles-mêmes. On a même l’impression que c’est fait exprès et que c’est presque du génie. Comment peut-on aider aussi mal les gens  !

Ce qui donne évidemment lieu à des scènes toutes plus comiques les unes que les autres…

Ah oui, il y a une petite surenchère  ! Toutes les personnes que mes personnages rencontrent dans les différents guichets sont par ailleurs adorables. Tout du moins, ils ne sont pas dans le jugement. Enfin, un peu (rires). Mais voilà, ils font leur travail et sont impuissants face aux individus qui, comme mon trio de personnages, ne rentrent pas dans des cases. Ken Loach aurait pu faire un film entier sur ce sujet  ! De mon côté, j’ai voulu quand même voulu condenser un peu. Ce sont des situations qui sont drôles mais qui parlent en même temps à tout le monde. C’est ce que je trouvais intéressant  : se dire que ce qui arrive à ces sans-abris, confrontés aux absurdités d’un système, nous est déjà arrivé à tous.

Le premier tour des élections présidentielles est dans moins d’un mois. Avez-vous le sentiment que les pouvoirs publics ne traitent pas assez voir pas du tout le problème des SDF  ?

Bien sûr, c’est une réalité. Il y a cinq ans, un candidat à l’élection présidentielle de 2017 avait dit qu’à Noël, il n’y aurait plus personne dans la rue. À ce moment-là, je crois que j’ai commencé à mûrir l’idée d’un film. Cette déclaration a comme été le démarrage du projet. À l’époque, il y avait 200 00 sans-abris. Aujourd’hui, on en est à 300 000. Je me rends compte que les Français sont très soucieux de ce sujet. La France est un pays d’une grande générosité. Les Français sont concernés par le sort des sans-abris, c’est un fait. Il y a des grandes associations comme les Restos du Cœur, mais également des choses qui sont faites au niveau local. Je crois que l’État se dit que ça fonctionne. Certes, il y a des pertes, mais les Français s’occupent très bien des sans-abris. Je pense qu’il faut vraiment se poser des questions quant au cas des pouvoirs publics par rapport à cette question.

Avec Trois fois rien, vous faites de nouveau appel à une bonne partie du casting du Petit Locataire, votre premier long-métrage. Peut-on parler d’une famille de cinéma  ?

Je crois oui  ! La notion de famille est au cœur du film et était déjà au centre du Petit Locataire. J’aimerais bien me débarrasser d’eux mais je n’y arrive pas (rires). Je pense que c’est important pour moi de travailler en famille. On peut se challenger, se hisser vers le haut, sans qu’il y ait de jugement. On est au-delà de ces considérations.

Avez-vous d’autres projets de films  ?

Je suis très lente. J’y vais à la fulgurance. Sortir un film, c’est comme avoir un enfant. Donc je vais d’abord «  accoucher  » de Trois fois rien et m’en remettre  ! Il n’y a rien pour l’instant et on verra au fur et à mesure. Je prends tellement de plaisir à parler de Trois fois rien avec toutes ces personnes formidables. Mais sait-on jamais, ce film-là va cartonner et évidemment derrière, j’écrirais une suite qui s’appellera Quatre fois plus puis un autre film, Cinq fois trop, pour faire une trilogie  ! Mais comme souvent dans une trilogie, ce troisième épisode sera très mauvais (rires).

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