Avec son premier long-métrage, la directrice de casting Antoinette Boulat narre l’errance nocturne d’une jeune fille dans Paris. Ma Nuit plonge dans une poésie sensorielle où l’alchimie entre Lou Lampros et Tom Mercier hante les images. Rencontre.
Ma Nuit, est votre premier long métrage en tant que réalisatrice et vous êtes directrice de casting depuis une vingtaine d’années, ce désir de faire un film était là depuis longtemps ou il est né pendant votre parcours professionnel ?
Depuis toujours, inconsciemment, j’ai toujours eu une envie de faire du cinéma et de réaliser. Mon père était un photographe-reporter et j’étais dans un environnement d’images. Ça faisait vraiment partie de moi. Je n’ai pas fait d’école de cinéma et le casting, c’est venu par hasard, à la suite d’une rencontre avec un directeur de casting, Pierre Amzallag. J’ai eu la chance de le voir travailler. Je me suis rendue compte que dans le casting, par rapport à mon environnement familial, il y avait quelque chose de très proche du journalisme, dans le fait de rencontrer et d’essayer d’obtenir ce que l’on veut de quelqu’un, que la personne soit à l’aise et se livre. Tout de suite, ça m’a plu. Le casting est aussi un moyen d’apprendre, c’est partie intégrante de la mise en scène. J’ai rencontré des cinéastes et les choses se sont enchaînées comme ça longtemps.
Et justement est-ce qu’il y a des réalisateurs.rices avec qui vous avez travaillé qui vous ont particulièrement appris des choses qui vous ont servi pour faire ce premier film ?
J’ai tout appris avec eux. Mais il faut aussi voir beaucoup de films. C’est naturel et ça apporte énormément pour appréhender les acteurs en casting. J’ai pu travailler avec ces réalisateurs-là, car c’étaient des personnes qui aimaient le cinéma avant tout. J’ai rencontré des gens avec qui j’avais des affinités, la même envie. En casting, on n’est pas sur le plateau, mais c’est un moment particulier de la préparation d’un film, car c’est très en amont et inscrit dans les problématiques de ce que va être le film. Le choix d’un.e acteur.rice change tout. Dans tous les choix qu’un réalisateur fait pendant la préparation, c’est déjà énorme pour ne pas être complètement inhibé. Pour mon film, ça m’a énormément aidé.
Dans le financement, on demande de faire des court-métrages et je ne comprenais pas pourquoi. J’avais déjà le sentiment d’avoir appris des choses. La seule chose qui a été un monde de découverte, c’était le son et la post-production. Si j’avais fait un court-métrage, je l’aurais vécu surtout que le son dans mon film est très important. Leurs films m’ont beaucoup apporté comme à toutes les personnes qui aiment le cinéma. J’ai d’ailleurs essayé de travailler uniquement avec des gens avec qui j’avais la même vision de cinéma.
Le casting, ça peut aussi être complètement mondain, juste rencontrer des acteur.rices. Ça ne m’intéresse pas. Je les adore, au départ, j’ai voulu faire du cinéma, car j’étais fascinée par les acteur.rices, mais plus je les rencontrais moins j’avais envie. Je voulais garder cette image un peu fantasmée. Plus je les connais, moins je peux me projeter dans un film, dans un scénario. Il faut garder ce mystère.
C’est pour ça que vous avez choisi pour votre film ce duo d’acteurs.rices singulier, qui sont au début de leur carrière ?
Je n’ai jamais fréquenté les acteurs en dehors du travail. J’aurai pu prendre quelqu’un de plus connu, mais à cet âge, on est tous au même niveau. Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour ceux qui sont plus célèbres. Je cherchais quelqu’un qu’on puisse avoir envie de suivre. C’est un personnage qui au début n’est pas beaucoup extériorisé. Elle a une présence qui ne passe pas forcément par les mots. Quand j’ai rencontré Lou, elle n’était pas du tout le personnage, elle n’avait pas d’appréhensions. Et je me rends compte aujourd’hui que ce qu’elle avait du personnage, c’est qu’elle est très indépendante, très libre, pas du tout dans le regard des autres. Et elle avait cette présence physique et ce visage. Elle a une palette, une diversité au niveau du visage où même parfois, je ne voulais pas tout. C’est pour ça que j’ai flashé sur elle.
Je l’avais déjà rencontré pour les castings d’Emmanuelle Bercot et Wes Anderson. Dans ces moments-là, on est concentré sur le film que l’on fait. Je ne me projetais pas dans le mien. Elle faisait partie des actrices que j’ai vues et elle amenait un truc. Pour moi, le personnage de Marion n’est pas déprimé. Le deuil est douloureux, mais elle a perdu sa sœur il y a cinq ans, donc elle a une distance par rapport aux autres. Je ne pouvais pas avoir un visage qui portait trop de tristesse ou éteint. Lou est très vivante. C’était une évidence. Je ne suis pas allée chercher quelqu’un de trop abattu pour l’amener vers la lumière, mais j’ai pris la lumière pour l’amener vers quelque chose de plus mélancolique.

Ce qui est assez frappant dans Ma Nuit, c’est l’alchimie évidente entre Lou Lampros et Tom Mercier, c’est assez rare finalement… Comment avez-vous dirigé ce duo ?
Ça me fait plaisir. J’avais tellement envie des deux. Je ne voulais pas d’un couple de jeunes acteurs français. Je voulais que le personnage d’Alex amène une étrangeté, quelque chose qui ne soit pas son monde à elle. Les premiers essais étaient assez catastrophiques. Ils ne se ressemblent pas du tout. Après, ce sont deux personnes qui sont rares, dans leur vie aussi. Ils ont quelque chose de particulier et ils se sont déjà eux rencontrés à ce niveau là. On n’avait pas beaucoup de temps de tournage donc on a fait des répétitions pour bien expliquer de quoi il s’agissait. Ils ont chacun travaillé de leur côté, mais c’était évident qu’ils étaient faits pour être ensemble à l’image. Ce sont des choses de casting et d’intuition.
C’est merveilleux pour ça les coïncidences dans le cinéma, car il y en a aussi bien pendant la préparation, le tournage et après quand le film est fait. Il y a des choses qui se produisent et que l’on ne peut pas trop expliquer. C’est leur envie à eux d’avoir voulu faire le film pour de bonnes raisons. C’est ça qui est génial quand c’est un premier film et qu’on n’est pas dans un truc d’argent, de grosses machines. Les gens le font pour les bonnes raisons et ça crée des alchimies, des rencontres.
Et c’est vrai que tous les deux, ils sont ensemble. Tom m’avait dit un truc super à la lecture du scénario « Marion est dans la mort, fascinée par la vie et Alex est dans la vie, fasciné par la mort ». Il y a quelque chose, c’est un peu exagéré, mais ça se rencontre dans quelque chose d’essentiel.
Et est-ce qu’il y a eu une part d’improvisation avec eux pour créer cela ou tout était écrit dans votre scénario ?
Je voulais que tout soit extrêmement préparé, découpé et réfléchi au maximum avec l’équipe. Après oui forcément. Je voulais faire beaucoup de plans-fixes, mais la scène de l’Avenue de Flandres quand ils s’engueulent et qu’il veut partir, ils avaient besoin de leur espace pour jouer. L’improvisation était plutôt du côté de la caméra. Après, j’avais vraiment envie de parler de la jeunesse, qui réfléchit, qui se pose des questions, qui n’est ni frivole, ni pessimiste, mais a un regard très philosophique.
Même nous plus jeunes on était comme ça, ce n’est pas quelque chose de nouveau. Je n’avais pas du tout envie de faire une chronique sur la jeunesse où les gens sont speed, parlent vite et mal. Ils ne sont pas comme ça. Je voulais réfléchir à des images de cinéma assez sensorielles. Les deux se rencontrent, je voulais travailler l’image donc ça donne une forme et ce n’est pas de l’improvisation.
C’est ce qui fait qu’il y a un peu deux films dans Ma Nuit, Marion traverse cette jeunesse en étant observatrice, en photographiant. Comment on filme quelqu’un qui observe et parle peu ?
C’est très difficile. Le son donne des éléments. Et elle, est très habitée, elle a peur. C’est aussi radical et le plus difficile, c’est de l’imposer aux autres. Lou, on a envie de la filmer donc c’est inspirant. Je voulais contrôler les choses déjà dans sa présence. Et après le fait qu’ils ne se coupent pas la parole, qu’elle le regarde. Tous ces temps, c’est un risque et c’était à l’écriture, dans les choix de mise en scène. Je voulais faire des plans fixes. Je déteste les contre-champs alors qu’ils sont là pour rythmer.
J’essayais de faire des plan-séquences que j’ai appris à monter. Et même le montage, je ne voulais pas que ça soit rapide. Elle rejoint ce qui se passe aujourd’hui, l’obligation de s’ouvrir à quelque chose de plus large que notre environnement proche. Et si on s’ouvre, c’est effrayant. Je pense sincèrement qu’on n’a pas le droit de le dire, qu’on a peur. On ne peut pas se montrer nos faiblesses, ça ne se fait pas. Donc tout le monde devient cassant. Elle porte la jeunesse et Paris. Et ce n’est pas si simple, car ce que le monde nous renvoie, notre environnement, est très dur.

Et en même temps, il y a certes, ce Paris de nuit, du quotidien, de cette jeunesse qui raconte la société actuelle et il y a quelque chose de mystique dans l’errance que vous avez écrit et avec le personnage d’Alex qui apparaît comme un ange…
… C’est un peu le mec que tout le monde a envie de rencontrer, au milieu de la nuit. (rires)
Vous vouliez apporter une forme de mythologie à ce réalisme ?
Non, ça, je m’en suis rendu compte après. Inconsciemment, il y avait quelque chose de l’aventure traversée. Ils sont confrontés à plein de choses et c’est ça qui les fait se poser des questions et se transformer. Le personnage d’Alex, c’est un peu un extra-terrestre, comme quelqu’un qui arriverait de très loin. C’est un étranger. Quand j’ai rencontré Tom (Mercier) il venait de rentrer du tournage de Guadagnigno où il avait passé six mois en Italie.
Il est français et israélien. Je lui ai demandé comment on pouvait avoir envie de rester ici, car je ne comprends pas. Il m’a répondu qu’il ne savait pas. Je lui ai dit de rester dans cet état pour le film. Quand on est étranger dans un pays, on a un autre regard. Et elle aussi, comme elle est dans cette période, un peu en retrait, elle a aussi ce regard extérieur. C’est ça qui leur permet de ne pas avoir d’a priori. Ils sont dans une forme de vérité dans laquelle ils se retrouvent.
J’avais imaginé la nuit vraiment sombre et je me suis rendue compte que les éclairages publics, c’était la catastrophe. Donc on a passé notre temps avec la chef-op à chercher des rues qui n’étaient pas oranges. On a sillonné Paris et on s’est retrouvé dans des lieux qui avaient une ambiance très forte et qui n’étaient pas les plus vivants de la ville. Et après, j’ai amené des sons, l’orage, de la nature. J’avais besoin de nature et en même temps, on était à Paris. Et l’Île Saint-Louis, j’avais peur du côté too much et finalement ça amène une douceur dans la nuit. Autant proposer quelque chose de plus doux, qui est ce qu’on attend d’une nuit, plus que l’agressivité. Les choses se sont construites à travers les contraintes.
Pour moi, c’est justement cette nuit parisienne qui est réelle et le mystique vient des personnages dans votre écriture…
Exactement. J’ai besoin d’aller chercher loin, ayant traversé un deuil. On est connecté à la personne quand on perd quelqu’un.
Ça rejoint la citation de Joan Didion que vous avez inséré en ouverture : « Les gens qui ont récemment perdu quelqu’un ont un air particulier, que seuls peut-être ceux qui l’ont décelé sur leur propre visage peuvent reconnaître. » ?
Oui ça, c’est magnifique. J’avais lu le roman pendant le confinement et ça a fait écho. Elle parle du fait qu’en deuil, on a plus le même regard. Ce livre est magnifique. Ça dit tout sur cet état.
Et vous parliez du son tout à l’heure et de son importance dans le film, mais quel a été le travail sur la musique ?
Pour le son, c’était écrit. Il y avait une intention pour chaque séquence. C’est un film à petit budget et quand on cherche un son de feuille tout bête, on se rend compte que ça n’existe pas. Il y a le son qui va avec la pluie, avec l’orage, etc. La pureté des sons, c’est une vraie recherche et j’ai eu un mixeur absolument génial. Pour la musique, je voulais une musique qu’on entende et qui soit mélancolique. Nicolas m’a fait plein de propositions et on était tellement en accord sur le film. J’adore la musique dans les films. J’ai essayé de casser l’humeur.
Quand ils sont trop contents, je ramène de la tristesse. Ce n’est pas une comédie romantique, ça ne veut pas dire que le lendemain ça ira bien, ce n’est pas vrai. Je voulais vraiment raconter que ce n’est pas parce que là, on passe un bon moment, que ça ne va pas être la catastrophe dans une heure. Je voulais que la musique soit toujours là pour rappeler que ce n’est pas si simple.

Et l’unité de temps, était présente dès le début ? Vous vouliez simplement raconter une nuit ?
Dès le début : une jeune fille, une nuit, dans Paris. Et je voulais aussi parler du deuil d’une sœur ou d’un frère, ça m’importait. Je ne voulais pas que ce soit le sujet du film, mais évoquer Paris, la peur, le fait d’être confrontée à des rencontres nocives ou agréables. Et je pense que Paris a changé, on a perdu quelque chose. C’est une ville dure pour les Parisiens, les étrangers, les marginaux.
Je ne sais pas si les gens sont heureux d’y vivre. C’est un sentiment que j’ai. Et c’est vrai que les attentats, c’est quand même un traumatisme pour tout le monde et ça a fracturé. Et les migrants, le non-accueil, c’est effrayant, pour les jeunes, c’est pareil. Tout ça se rejoint. C’est mon regard. Tout ce qui est montré, je l’ai vécu personnellement, c’est triste, parfois trop masculin pour une femme… C’est une belle ville, mais ce n’est pas marrant.
On peut espérer un deuxième long métrage ?
Oui, et l’envie de continuer le casting avec une vraie recherche.








