LITTÉRATURE

« Les Frénétiques » – Passion intranquille

Les Frénétiques, Adeline Fleury © Editions Julliard

Ardeur, frénésie et horreur sont les ingrédients de l’histoire d’amour esquissée dans «  Les Frénétiques  », dernier roman d’Adeline Fleury. Une femme part en vacances sur une île en Italie et est emportée par une inquiétante passion pour une jeune femme insaisissable.

Une scène ouvre le livre. Ada repose sur une plage caniculaire d’Italie. Le sable glisse entre ses doigts comme le temps. Elle observe une jeune femme sur un ponton. Elle est magnifique, saute et se tue, ne laissant plus que son sang. Cette image nous poursuivra tout au long de la lecture.  

C’est l’été. Ada, fille d’une mère psychanalyste et d’un père éditorialiste, se rend avec son fils sur l’île d’Ischia, située non loin de Naples, où dort un immense volcan. «  Ischia guérit de tout, les chagrins d’amour, les dépressions, les deuils, ouvre l’esprit sur les souffrances passées et permet d’accepter les douleurs présentes  ».

Histoire insulaire

Au travers d’un vocabulaire précis et d’une langue singulière, nous sommes transportés ainsi dans ce paysage. Les fruits sont mûrs, le soleil frappe, les couleurs rayonnent, les odeurs flottent, les vêtements sont légers et les bains de mers salés. Adeline Fleury évoque aussi le plaisir de la nourriture. De nombreux plats défilent au gré des paragraphes et se dégustent jusque sur le bout des doigts. L’atmosphère est teintée de tons chauds et de senteurs fortes, les sensations sont vives et exacerbées. Le corps de la narratrice est happé par les odeurs et les sons, les saveurs et les éléments.  

Ada est une femme empreinte d’une certaine solitude, en léger décalage avec le monde et en proie à des questionnements. Voilà le portrait que trace l’écrivaine. Ada est dans un tournant de sa vie. Elle vient de démissionner de son poste de journaliste pour devenir romancière. Elle a aussi décidé de cesser d’enchaîner les conquêtes pour devenir, un temps, abstinente.  

Elle était perçue comme une jouisseuse, une collectionneuse, qui ne s’attachait pas, qui prenait, qui jetait. Ada avait aimé́ les hommes, parfois à en crever.

Les Frénétiques, Adeline Fleury

Pourtant, le récit bascule très vite. L’héroïne croise dès son arrivée, dans la maison où elle loge avec son fils, une jeune rousse qui lit un polar. Elle s’appelle Eva, elle a la vingtaine. Elle va devenir son obsession. Très vite, le trouble s’installe. Elle ressent une «  attirance incontrôlable  ».

Naissance d’un désir

Touchée par son corps jeune, la narratrice pose des mots sur sa silhouette, sa poitrine, ses cheveux roux, ses yeux verts. Plus elle la décrit, plus elle succombe à ses charmes. Bientôt, les deux femmes s’abordent, jouent et se cherchent, initiant une relation intense. Un langage corporel se développe entre ces deux êtres et les premiers gestes s’esquissent. 

Eva lui mordit la nuque, les épaules, le sein gauche. Elle titilla le mamelon avec sa langue. Ada était surprise par la fougue de la jeune fille. Elle mordait fort, pressait fort, pinçait fort. Elle lui montrait que l’amour saphique pouvait être farouche.

Les Frénétiques, Adeline Fleury

Ada plonge peu à peu dans une passion folle. Ses sentiments se déploient à la manière d’un paysage. Une fantasmagorie puissante l’habite. Adeline Fleury travaille au corps l’écriture et nous fait, presque imperceptiblement, basculer de la romance au thriller psychologique.

Ses fantasmes la poursuivent. Elle rêve son corps. La langue, doucement, se déplace jusqu’à nous plonger dans un univers angoissant. Les sensations douces de l’été deviennent bientôt inquiétantes et menaçantes. Le désir se mue en une chose dangereuse touchant à la mort. 

Amour mortel

La jeune Eva ne cesse de fuir et de disparaître. Elle lui échappe et s’avère totalement imprévisible. Mais, ce sont aussi les hommes qui viennent complexifier cette attirance radicale entre Ada et Eva. Cette dernière fréquente un jeune homme de son âge, générant une jalousie incontrôlable chez Ada. Une rivalité, gagnée d’avance, s’installe aussi entre Eva et un homme, Guido, bien décidé à conquérir et posséder Ada. Les gestes de cet homme se font brusques quand elle se refuse. Ada s’inquiète et le craint. Le style de l’écrivaine prend alors un virage décrivant l’escalade de la crainte et du suspense.

Les mots défilent et le temps s’accélère. La cruauté colore le désir. La réalité commence à se fondre dans l’imagination et le délire. En lisant, les repères deviennent flous. Dès lors, on ne distingue plus ce qui est vécu de ce qui est rêvé. Ada, obsédée par cette rousse ravageuse, est engloutie par sa passion mais doit faire face aux autres qui l’entourent. Les êtres se révèlent ambivalents, asymétriques, adorables et diaboliques. Le récit bascule peu à peu dans l’horreur distillant une odeur de sang et de crime.

Les Frénétiques est un roman rouge sang comme la passion et le meurtre. Un rouge écarlate qui emporte tout sur son passage. L’histoire d’un amour sans concession. 

Les Frénétiques d’Adeline Fleury, Éditions Julliard, 19euros.

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