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« Le Ciel de Nantes » – Et je me souviens

Le Ciel de Nantes
© Jean-Louis Fernandez

Christophe Honoré met en scène le film qu’il n’a jamais pu réaliser. Celui consacré à sa famille maternelle. Dans un vieux cinéma, il convoque ses grands-parents, sa mère et quelques oncles et tantes pour raviver les souvenirs tendres et douloureux sous le Ciel de Nantes.

Il y a une part du théâtre de Christophe Honoré qui est peuplé de fantômes. Nouveau Roman ramenait à la vie les auteurs.rices Robbe-Grillet, Sarraute, Butor, Duras. Les Idoles mêlaient sur scène ceux qui ont constitué l’héritage culturel de l’artiste parmi lesquels Demy, Koltès, Guibert ou Daney. Il semble se construire sur scène un triptyque des revenants chéris. Évidemment sur lesquels plane toujours le fantôme de Marcel Proust et cette Recherche du temps perdu réveillé par la troupe du Français avec la pièce Du Côté de Guermantes muté en film, Guermantes. Cette nouvelle création théâtrale révèle un autre héritage de Christophe Honoré : sa famille.

Incarné par le comédien Youssouf Abi-Ayad, il se met en scène lui-même en jeans/baskets et cigarette au bec. Les notes de « Nantes » de Barbara le font revenir comme la chanteuse s’y rendait dans cette ville marquée par les tragédies familiales. Sur scène à ses côtés, ou plutôt sur les sièges d’un cinéma de quartier, sa grand-mère (Marlène Saldana), son grand-père, le père Puig (Harrison Arévalo), la mère incarnée par son propre fils Julien Honoré, l’oncle Roger né d’un premier mariage (Stéphane Roger), l’oncle Jacques (Jean-Charles Clichet) et sa tante Claudie (Chiara Mastroianni, pour sa première fois sur les planches).

Si seule la mère de Christophe Honoré est encore vivante, les autres personnages sont ramenés à la vie pour assister au Super 8 familial, au film que le réalisateur, pur produit transfuge de classe, leur aurait consacré. Mais il en sera autrement, car ce passé, chacun.e l’a vécu à sa manière. Alors ils interviennent pour se raconter, pour s’expliquer, laisser échapper les non-dits et secrets enfouis. Les souffrances viennent composer avec la tendresse. « Si Christophe fait son film, peut-être que ça nous redonnera des couleurs… » livre Claudie suicidée bien trop jeune.

Six personnages en quête de vie

Malgré la gravité des drames qui ont pesé sur la famille : dépression, mort, abandon ou homophobie, le metteur en scène donne à sa mise en scène une fantaisie du souvenir unique et vivante. Il nous fait traverser les dernières décennies à travers l’histoire française des bombardements à la guerre d’Algérie, de la lutte ouvrière à la misère sociale et pourtant il s’agit d’un tableau de fond sur lequel les personnages dansent et agitent leur destinées sous le ciel de Nantes. Le cinéma s’inscrit dans cette théâtralité d’un film qui n’existera pas. Sur l’écran surplombant, d’autres membres du passé interprétés rapidement par des acteurs ayant déjà été dirigés par le cinéaste : Vincent Lacoste, Marina Foïs, Pierre Deladonchamps ou Anaïs Demoustier.

La vraie force de ce spectacle à la fois intime et généreux est de retracer les vies de ces six personnages pour les réparer et comprendre cet héritage laissé. En ça, les comédien.nes incarnent avec intensité des corps terriblement vivants. Ils évoluent des airs de Joe Dassin ou Sheila, partagent un match des Canaris ou un tango. Christophe Honoré fait de son histoire personnelle un véritable spectacle. Il ne néglige ni l’humour, ni les émotions parcourant la scène, permettant de rejouer les liens, de trouver du sens à ces vies.

Le Ciel de Nantes de Christophe Honoré. Théâtre de l’Odéon. Jusqu’au 3 avril. Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. Durée : 2h15.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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