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« Entre chien et loup » : l’enfer est pavé de bonnes intentions

Christiane Jatahy transpose Dogville de Lars von Trier (2003) et explore les ressorts qui permettent aux sociétés fascistes de s’installer et de perdurer. Une tentative poussive de comprendre le Brésil d’aujourd’hui.

Etats-Unis, années 1930. Pourchassée, Grace se réfugie dans la petite ville de Dogville. Si la population hésite d’abord à l’accueillir, elle se rend rapidement compte de l’utilité de la jeune femme. Progressivement, Grace remplit de plus en plus de services jusqu’à devenir une sorte d’esclave maltraitée de la petite communauté. Paris, 2021. Une troupe décide de conduire une expérimentation en reprenant le dispositif du film de von Trier. L’objectif  : prouver que leur humanité permettra à l’histoire de ne pas se répéter. Ils décident alors d’héberger Graca, une jeune brésilienne ayant fui son pays à la suite de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Malheureusement, comme le dit le dicton populaire, l’enfer est pavé de bonnes intentions, et leur humanité supposée sera mise à rude épreuve.  

Dispositif artificiel

Voilà par quoi le nouveau spectacle de Christiane Jatahy aurait pu commencer  : une explication claire du film de Lars von Trier et du projet des personnages sur scène. Facile et évident, peut-être redondant pour les cinéphiles mais probablement très utile pour la grande majorité. Or, le public rentre directement dans le vif, est interpellé de manière faussement spontanée par les comédiens, rendu complice. Tout est trop artificiel  : la situation de départ, les dialogues, les blagues supposées, les interruptions, les altercations… L’ensemble sonne faux et théâtral (dans le mauvais sens du terme).

L’ensemble est aussi alourdi par l’utilisation de la vidéo, pourtant généralement bien employée par Christiane Jatahy. Ici, le travail sur l’image live et pré-enregistrée est censé mettre en évidence la fatalité de l’histoire, condamnée à se répéter. Tout est en fait déjà écrit (filmé au cas d’espèce). Les passages se succèdent vite, trop vite, et des comédiens d’habitude si convaincants (Matthieu Sampeur, Philippe Duclos) semblent à peine y croire. Le public peine lui à comprendre le véritable enjeu. Qu’essaye vraiment de nous prouver Christiane Jatahy  ? Que ces gens bien sous tous rapports qui mangent des pommes bios (soulignons d’ailleurs le côté éculé de ces blagues sur les «  bobos bienpensants  »)  n’en sont pas moins racistes et violents  ? La metteuse en scène pense-t-elle vraiment ici décrypter quelque chose de l’âme humaine  ?

© Magali Dougados

Parabole inaboutie

L’autre problème réside dans le propos trop centré sur le Brésil. Évidemment, pour Christiane Jatahy qui en est ressortissante, la situation sociale et politique de ce pays depuis l’élection de Jair Bolsonaro est une véritable tragédie. Il ne s’agit pas de nier la réalité  : ce pouvoir est raciste, misogyne, violent et proto-fasciste. Mais qui, en France, remet cela en cause  ? Qui, dans notre pays, a un problème avec les éventuels réfugiés brésiliens  ? L’actualité brûlante nous rappelle tous les jours que les réfugiés sur qui se cristallisent la haine et la violence ne sont pas ceux-ci. Cette mise en scène toute calibrée autour d’une migrante brésilienne résonne dès lors comme trop artificielle. Certes, on comprend pourquoi la metteuse en scène souhaite parler de son pays et de son vécu. Mais, ce faisant et contrairement à Lars von Trier, elle échoue à établir une vraie parabole politique. Évidemment, le monologue de fin, témoignage des ravages que cette situation provoque partout, y compris au cœur des familles, est émouvant.  Mais il ne suffit pas.

Il y a quelque chose d’assez triste à voir une artiste aussi prometteuse et intéressante que l’a été Christiane Jatahy livrer des spectacles si inaboutis sur le fond comme sur la forme. Entre chien et loup nous fait sincèrement regretter la force des premières créations vues en France, telles que Julia ou What if they went to Moscow.

Entre chien et loup de Christiane Jatahy, d’après Dogville de Lars von Trier. Aux Ateliers Berthiers (Paris 17) de l’Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 1er avril. Pièce en français. Durée : 1h45.

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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