CINÉMA

« Aristocrats » – Vivre sa vie

Aristocrats
© Art House

Yukiko Sode regarde avec sensibilité deux femmes que tout sépare se plonger dans une sororité inattendue. Un sublime film lyrique et moderne sur les castes de la société Tokyoïte où des personnages féminins singuliers tentent d’y réchapper. 

Impossible de ne pas penser à la poésie urbaine et à la sensibilité de Ryusuke Hamaguchi (Asako I & II, Drive My car) face à l’atmosphère de la mise en scène d’Aristocrats. Mais Yukiko Sode, rare réalisatrice japonaise, pose son point de vue de femme sur ses personnages féminins et les difficultés de s’affranchir de la société patriciale. Pour son troisième long-métrage, la cinéaste adapte le roman de Mariko Yamauchi, Anoko wa Kizoku. Elle explore ainsi en plusieurs chapitres les classes sociales régissant son pays et enfermant dans des quartiers séparés de la ville chaque caste dont les femmes sont les premières victimes.

Hanako (Mugi Kadowaki) approche de la trentaine et le gong du mariage imminent commence à retentir. Sa famille d’aristocrates Tokyoïtes vit dans un maintien des traditions anciennes et plutôt dépassées. Ils attendent de la jeune femme qu’elle trouve un époux de son rang. Après plusieurs rendez-vous ratés, Hanako trouve enfin un prince charmant : beau, riche, gentil et… aristocrate en la personne de Koichiro (Kengo Kora). Les fiançailles sont validées par les deux familles et le mariage arrangé, comme il est coutume. À l’aube des noces, la jeune femme surprend des échanges de messages entre son mari et Miki (Kiko Mizuhara). 

Le hasard et la personnalité de son amie violoniste vont intervenir dans cette union. Cette dernière apparait comme le personnage bascule, fille de l’aristocratie, sa vie à l’étranger lui offrant un regard différent sur le fonctionnement social de Tokyo. Contrairement à Hanako, toute sa manière d’être tend à conserver le célibat et sa liberté. En rencontrant Miki, accompagnée de Koichiro, elle fera se confronter les deux femmes. Celle qui l’a épousé et celle qui le fréquente depuis dix ans mais ne sera jamais sa femme. Celles-ci, en apparence opposées, sont plus proches qu’elles ne le pensent.

Vers la sororité

Aristocrats fait le choix de nous montrer la vie de Miki en province et par flashbacks les liens qui l’unissent à Koichiro. Ces deux classes sociales antagoniques fonctionnent sur les mêmes fondements : l’entre-soi et le respect des traditions. La société prive les personnages de libre-arbitre. Il appartient à ces femmes de vivre leur vie.

L’écriture subtile du film va se construire autour de cette symbolique de classe, représentée par l’urbanisme codifié de la ville, entre le haut Tokyo et ses tours surplombant la pauvreté du bas Tokyo. La cinéaste cristallise ces différences par des scènes de thé et de repas en famille ou entre amis. Les décisions importantes y sont prises, offrant toute la dynamique qui fait évoluer les héroïnes vers leurs véritables désirs.

Car si Miki a pu s’ affranchir en allant étudier et travailler à Tokyo, la liberté de la désobéissance contre son ordre établi commence à murir dans l’esprit d’Hanako. Yukiko Sode réalise avec Aristocrats un film lyrique et moderne, saisissant. Tokyo y est filmé comme un personnage, où ces femmes cherchent à trouver une place où être heureuse et à renverser les codes face au patriarcat. Et cette sororité guide magnifiquement tout le métrage.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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