CINÉMA

44e FIFF de Créteil – Rencontre avec Samaher ElQadi : « Nous, les femmes, sommes le futur »

As I Want
© Prophecy Films

En compétition à Créteil lors du 44e Festival International de Films de Femmes, As I Want a unanimement touché le festival. Le premier long métrage de la réalisatrice palestinienne Samaher ElQadi a en effet été doublement primé  : par le jury Anna Politovskaïa ainsi que par le public.

Le 25 janvier 2013, jour anniversaire de la révolution égyptienne, des dizaines d’agressions sexuelles ont lieu place Tahrir. Tandis qu’hommes et femmes se réunissent pour protester contre les Frères musulmans alors au pouvoir, une violence inouïe se déchaine. Très vite, les Egyptiennes se révoltent et descendent massivement dans la rue. Caméra au poing, Samaher ElQadi les rejoint. Avec As I Want, la réalisatrice interroge les causes de ces comportements. Neuf ans plus tard, les images de ces femmes en première ligne de la révolution nous parviennent enfin.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours. Sur ce qui vous amenée à faire du cinéma  ?

Je ne savais pas que j’allais être réalisatrice. J’ai quitté mon pays, la Palestine, en 2003 après la 2e Intifada. J’avais 22 ans. La Palestine faisait alors face à une nouvelle forme d’occupation très violente  : l’aviation militaire. Quand j’étais plus jeune, lors de la 1ère Intifada, ils utilisaient des soldats, des fusils. Mais quand ils ont commencé à utiliser l’aviation, nous n’avions plus rien pour nous défendre. Pour moi, c’était une vie pleine de morts. Je ne pouvais rien faire pour changer cela. Et je voulais avoir une vie normale. Une vie qui pourrait m’offrir autre chose que de la violence. Donc je suis partie. Ça a été un long parcours. Le raconter prendrait un film entier.

Une fois partie, je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. Les gens qui m’ont aidée m’ont demandé ce que je voulais étudier. J’ai répondu que j’aimais prendre des photos. J’avais un petit appareil et j’avais fait de belles photos avec ma nièce. Mais je n’avais jamais utilisé de caméra vidéo. On m’a proposé de tenter l’Institut de cinéma du Caire. J’ai fait un dossier. En septembre 2003, l’Institut m’a contacté en me disant de venir passer les examens. Ce qui a posé un problème avec ma famille, car j’étais une fille. J’ai donc laissé passer une année entière, je n’avais pas réussi à convaincre ma famille. Ça a été une période très dure. Et puis j’ai finalement réussi à entrer à l’Institut de cinéma.

J’ai commencé à comprendre ce qu’est le cinéma et à quel point les images peuvent être fortes. Je crois que le cinéma et les images en général sont un outil très important pour mettre en lumière des choses que nous voulons changer ou discuter. Le cinéma peut être un divertissement, bien sûr. Mais le cinéma est devenu une chose très importante pour le changement, pour la correction, le développement. Je crois vraiment que le cinéma peut avoir un rôle politique.

Je ne sais pas si j’ai commencé à faire des films pour cette raison. Mais j’ai pris conscience de cela en les faisant. Pour être plus précise, je pense que le monde vit une situation très difficile, tendue et laide. Je crois que le cinéma et les médias, la télé et les arts en général sont un outil très puissant pour réveiller les gens. Le cinéma peut décrire ce qui se passe dans beaucoup de sociétés dans le monde. Et surtout, il peut ouvrir de nombreuses portes pour diverses cultures et diverses idées. C’est ce en quoi consiste le cinéma je pense. J’ai appris tout cela en faisant ce film.

La forme documentaire semble très importante pour vous. Laissez-vous tout de même la porte ouverte à la fiction dans l’avenir  ?

Mon prochain projet, c’est de la fiction  ! Je pense que la réalité est très dure. Parfois, quand je faisais ce film et que je regardais ce qui se passait autour de moi, je me demandais pourquoi mettre des millions de dollars dans des films de fiction. Des films violents en plus. Malheureusement, ces gens-là n’ont qu’à prendre leur caméra et un billet d’avion pour n’importe où dans le monde et ils auront un film  ! Toutefois, je pense que la fiction peut être un très bon divertissement, et c’est bon pour l’imagination. Pour moi, la fiction me permet de faire une pause de la réalité.

Le documentaire est très important. Dans de nombreuses régions ou sociétés, le documentaire est la seule preuve de ce qui se passe vraiment. A la condition que le réalisateur soit indépendant et ait son propre et honnête point de vue. Le documentaire est très puissant surtout en cette période de guerres. Les Palestiniens, Syriens, et tous les autres peuples en guerre, peuvent montrer ce qui se passe et faire prendre conscience de cela dans le monde entier. S’il n’y a pas de documentaire, ni de films, on a des gens qui écrivent l’histoire comme ils le souhaitent. Ils disent des choses qui ne sont pas vraies. Comme pour le cas de la Palestine.

La Printemps arabe a été largement documenté, il existe de nombreuses images. Et pourtant, les femmes en sont toujours absentes. As I Want les rend enfin visibles.

Je suis fière de chaque image que j’ai eu le courage de tourner. Ce n’était pas simple d’être au milieu de cette foule. Quand je regarde les images, je me dis que ça n’a pas seulement été tourné il y a dix ans, mais aussi dans une décennie différente, dans une époque différente. Je suis si fière, car la plupart des documentaires à propos de la révolution du printemps arabe ne montrent pas les femmes. Je voulais montrer à quel point elles ont été en première ligne. Et sans elles, les hommes n’auraient pas pu continuer la révolution.

J’ai été impressionnée par ces femmes. Il y a d’ailleurs un plan que je trouve magnifique. Celui filmé depuis le toit du plus haut bâtiment du centre du Caire. On voit toutes ces femmes rassemblées place Tahrir. À chaque fois que je le vois j’ai des frissons.

Les gens doivent se souvenir de qui a réellement soutenu la révolution et destitué les Frères musulmans.  Ce sont les femmes. C’est très clair. Dans une scène, on voit trois jeunes femmes criant au milieu de la rue. Elles sont entourées d’hommes qui les regardent. Ce sont elles qui ont mené la révolution. Et après ces femmes se sont fait agresser et violer. Car elles faisaient beaucoup de choses. Et des choses puissantes. Je suis donc très reconnaissante d’avoir pu filmer ces femmes fortes et courageuses. Et je remercie chacune d’entre elles.

Comment s’est structuré ce mouvement révolutionnaire ?

Cela n’a pas été facile pour les femmes. Car ces agressions sexuelles sur la place Tahrir ont été un choc. Bien sûr, nous avions toutes conscience d’être harcelées sexuellement tous les jours, d’être jugées pour tout ce que nous faisions et étions. Mais quand cette femme a pris la parole sur une grande chaine de TV, ça a été le point de départ de l’explosion. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis dit que j’avais quelque chose à dire. Les femmes n’allaient plus être silencieuses.

Le plus impressionnant, c’est que des femmes de tous les horizons se sont réunies. Des femmes de milieux aisés, pauvres, des femmes voilées, non voilées, des mamans avec leurs enfants, leurs bébés, etc. Parce que cette femme a parlé dans les médias, elle a réveillé beaucoup de choses tues trop longtemps. La première chose a donc été d’organiser cette manifestation en février 2013. C’était très spontané. Tout le monde y est allé. Car tout le monde était en colère, frustré. Toutes les rues étaient pleines de femmes. Après la révolution a continué. Donc ça s’est structuré et beaucoup d’associations ont vu le jour. Filles et garçons ont commencé à s’entrainer. Les garçons se sont engagés volontairement pour être présents dans les manifestations. Il y a des scènes que je n’ai pas mises au montage. Par exemple l’une dans laquelle on voit des jeunes filles s’entraîner pour se défendre.

As I Want
© Prophecy Films
Que ce soit la caméra pour vous, ou le couteau pour les femmes que vous avez filmées, brandir quelque chose était nécessaire pour affirmer votre présence dans l’espace public  ?

Le couteau était un symbole de la mobilisation des femmes, mais je n’en ai jamais pris un pour sortir. Je ne sais pas comment m’en servir  ! Je me suis donc servie de ma caméra. Tous les jours, je sortais avec elle. Ma caméra était mon couteau.

À toutes ces images de mobilisation politique des femmes, se mêle votre voix lisant la lettre que vous avez écrite à votre mère. Vous apparaissez en tant que femme, fille et mère.

Pour moi l’intime et le collectif sont bien entendu liés. J’ai souffert en tant que femme, en tant que fille. Ma mère a souffert en tant que femme et toutes ces femmes dans la rue ont souffert. Le courage de ces femmes a été communicatif et m’a permis de mettre au jour tous les problèmes que j’avais à l’intérieur de moi.

Je ne voulais pas faire un film de plus sur les droits des femmes. Je voulais m’intéresser aux causes de l’oppression dont nous sommes victimes. Parfois, le patriarcat vient des femmes elles-mêmes qui ont complètement intériorisé ces schémas-là. Ma maman était comme ça et pensait que les femmes devaient l’être aussi. Mais elle ne connaissait rien d’autre  ! Elle m’a appris à être inférieure, à ne pas demander plus, à ne pas partir, à ne pas élever la voix. J’ai été élevée comme ça, car ma maman aussi a été élevée comme ça.

Je me suis donc posé des questions. J’ai fait ce film avec mon cœur. J’ai dû faire un retour sur des choses très sombres qui étaient enfouies en moi. Ce film a été une façon de guérir de tout ça. Je cherchais quelque chose. Dans la rue, les hommes veulent m’agresser, me violer. Mais la question est  : d’où tout cela vient-il  ? Pourquoi sommes-nous comme ça  ? Et pourquoi acceptons-nous cela  ? Je suis enceinte, et comment vais-je élever ce garçon  ? Est-ce qu’il va être comme ces hommes dans la rue  ?

Pour moi, tout est lié. J’ai beaucoup d’amies qui ont des problèmes avec leur mère. On ne sait pas comment s’exprimer. Il n’y a pas de dialogue entre les filles et les mères. Ces dernières ont été élevées selon une certaine image de la femme qu’elles veulent transmettre à leur tour à leurs filles. Passer par le récit intime m’a permis de questionner tout cela. Ma maman est décédée sans que je puisse lui parler, sans que je puisse lui dire au revoir. Ça a été très dur. Maintenant, je suis mère à mon tour, et je me mets à sa place. J’ai une grande responsabilité d’élever des enfants. Je ne veux pas qu’ils ressemblent à la société qui les entoure.

J’ai donc décidé d’écrire une lettre à ma maman. Pour lui dire tout ce que je n’avais pas pu. Et des centaines de filles m’ont dit qu’elles avaient à dire la même chose. C’est pourquoi beaucoup de femmes se retrouvent dans ce film. Je m’inquiète pour ma génération, pour les nouvelles, et pour mes propres enfants. Je voulais écrire une lettre à toutes les femmes, toutes les mères et non seulement aux hommes et à la société.

Il y a ces peintures d’une amie que vous filmez.

Je lui ai demandé pourquoi elle ne les exposait pas. Elle s’est moquée de moi et a répondu quelque chose que j’aime beaucoup  : «  Pour qui veux-tu que j’expose  ? Pour qu’une élite vienne voir mes peintures de femmes nues  ? Je ne veux pas exposer pour ces gens. Si j’expose c’est pour des gens qui sont loin de ces milieux.  » Je lui ai suggéré de les exposer dans la rue  : «  Tu veux qu’ils me brûlent avec mon travail  ? !  ». Donc elle le publie sur internet. Elle a aussi récemment participé à l’illustration d’une bande dessinée sur les agressions ayant eu lieu place Tahrir (Three Women of Tahrir). Tout le monde ne peut pas la lire, car c’est très violent.

As I Want a été montré partout dans le monde, sauf en Egypte.

J’espère qu’il sera montré en Egypte mais je ne le pense pas. J’ai envoyé mon film à des festivals égyptiens mais il n’a pas été reçu. Si j’ai un rêve, c’est de montrer ce film aux Egyptiennes, d’échanger avec elles. Même si bien sûr ce n’est pas simple de revenir sur ce moment qui a créé un véritable traumatisme.

Vous n’avez pas de distributeur en France pour l’instant  ?

Pas pour l’instant. Mais j’espère que ces prix à Créteil ouvriront certaines portes. Je pense qu’il y a un public pour mon film ici, en France. Dans chaque festival que j’ai fait en France, et ailleurs, de nombreuses jeunes filles, et jeunes garçons, sont venu.es me voir ou m’ont écrit. Je pense à cette jeune femme venue me dire que As I want avait changé sa vie. Parce que nous, les femmes, sommes le futur. Que les hommes soient d’accord ou non, nous le sommes. J’ai découvert ça récemment. Et c’est parce que je lis tous ces mots et toutes ces prises de conscience que pour moi, mon film a atteint son but.

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