CINÉMA

« Vous ne désirez que moi » – Histoire de la passion

Vous ne désirez que moi
© Les films de l'après midi

Publié en 2016, Je voudrais vous parler de Duras est un entretien de 1982 entre la journaliste Michèle Manceaux et le jeune Yann Andréa, alors amant de Duras depuis deux ans. Claire Simon s’est emparée de ce texte pour en faire un film, Vous ne désirez que moi, où la parole se libère sur la passion amoureuse.

En 1999, trois ans après la mort de Marguerite Duras, son amant Yann Andréa publie Cet-amour là, un livre sous forme de déclaration d’amour où il revient sur leur relation. Le texte commence ainsi : « Je voudrais parler de ça : ces seize années entre l’été 80 et le 3 mars 1996. Ces années vécues avec elle. » Une dizaine d’années avant, il s’était essayé à la littérature avec M.D. , livre retravaillé par la dite M.D. Elle-même se servait de lui dans ses oeuvres littéraires et cinématographiques. 

Seize ans d’amour, après cinq ans de lettres envoyées de Caen. Un bus pour Trouville-sur-mer et malgré les trente-huit années qui les séparent, ils ne se quittèrent plus. Mais au bout de deux ans de passion, Yann ressent le besoin de s’exprimer. Il fait appel à la journaliste Michèle Manceaux, amie et voisine de Duras. Deux jours d’entretien où le jeune homme tente d’aborder ce qu’est pour lui le personnage Duras. Le texte fut finalement publié deux ans après sa mort à lui, en 2016. 

Quand Claire Simon lit ce texte, bien entendu, il y a le récit d’amour unique entre l’autrice et son amant, mais elle y entend le discours d’un homme résonnant avec les combats féministes et l’ère #METOO. En écho avec le titre donné au film, Vous ne désirez que moi expose l’emprise exercée sur le jeune homme. Comme si la distance créée par les mots sortant de la bouche d’un homme et non d’une femme, dans la position du dominé, permettait de mieux interroger l’influence du patriarcat dans les relations. Rarement, cette histoire aura été racontée de cette manière, par un homme.

Je voudrais vous parlez des comédien.nes

Dans Vous ne désirez que moi, Swann Arlaud interprète Yann Andréa sans jamais l’incarner. Car s’il évoque Duras constamment, seul le texte compte, que l’acteur entend dans une oreillette et nous offre ainsi qu’à sa partenaire, dans une prestation hors normes avec ces silences, ces hésitations, ces reformulations. Si la parole est du côté de son personnage, Emmanuelle Devos, quant à elle dans le rôle de la journaliste Michèle Manceaux, se place du côté de l’écoute. Une autre forme de jeu permettant de créer un véritable échange de ces deux jours d’entretien tournés en plan-séquence où la caméra passe de l’un à l’autre.

La réalisatrice nous place de son côté, car en créant le dialogue et en recevant les mots, elle se crée un récit, dans sa tête, mis en scène par des plans d’illustrations. Ainsi, elle s’imagine Yann Andréa lisant les Petits Chevaux de Tarquinia à la terrasse d’un café caennais, découvrant pour la première fois Duras dans un cinéma de Caen ou encore lui téléphonant d’une cabine téléphonique sur la plage de Trouville.

Claire Simon recrée ces images inventées comme des projections mais parsème aussi Vous ne désirez que moi d’archives réelles de l’autrice. Seule occasion de la voir, car jamais elle n’apparait dans le film. Et pourtant, par son absence, la mise en scène la rend plus présente que jamais, soulignant son emprise sur Yann Andréa par des coups de téléphones ou le grincement de ces pas à l’étage du dessous. Une autre forme d’images vient appuyer la relation charnelle entre les amants par des dessins crus de Judith Fraggi. Rappelant la présence important du sexe dans cette relation, complètement tabou à l’époque. A travers ce discours amoureux et cette histoire réelle, Claire Simon livre une parole universelle sur la passion dans laquelle chacun.e d’entre nous peut se retrouver et nous touche au plus près des émotions.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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